Le Palais
Salammbô
Gustave Flaubert (1821-1880), auteur ; André Lambert, illustrateur, Paris, 1948.
BnF, département de Littérature et art, 4-Y2-4121
© Bibliothèque nationale de France
Hamilcar est le père de Salammbô et d'Hannibal, encore enfant. De retour après une longue absence, il est reçu par les autres dignitaires de la ville avec suspicion. Il a autrefois dirigé l'armée des mercenaires qui aujourd'hui assiège Carthage. Pour se racheter, ils lui demandent de prendre la tête de l'armée pour écraser les mercenaires. Après avoir vertement refusé une telle tâche, Hamilcar acceptera.

« Hamilcar ne voulait plus se mêler d’aucun gouvernement. Tous le conjurèrent. Ils le suppliaient : et comme le mot de trahison revenait dans leurs discours, il s’emporta. Le seul traître, c’était le Grand-Conseil, car l’engagement des soldats expirant avec la guerre, ils devenaient libres dès que la guerre était finie ; il exalta même leur bravoure et tous les avantages qu’on en pourrait tirer en les intéressant à la République par des donations, des privilèges. Alors Magdassan un ancien Gouverneur de provinces, dit en roulant ses yeux jaunes :
– Vraiment, Barca, à force de voyager, tu es devenu un Grec ou un Latin, je ne sais quoi ! Que parles-tu de récompenses pour ces hommes ? Périssent dix mille Barbares plutôt qu’un seul d’entre nous !
Les Anciens approuvaient de la tête en murmurant : – Oui, faut-il tant se gêner ? On en trouve toujours !
– Et l’on s’en débarrasse commodément, n’est-ce pas ? On les abandonne, ainsi que vous avez fait en Sardaigne. On avertit l’ennemi du chemin qu’ils doivent prendre, comme pour ces Gaulois dans la Sicile, ou bien on les débarque au milieu de la mer. En revenant, j’ai vu le rocher tout blanc de leurs os !
– Quel malheur ! fit impudemment Kapouras.
– Est-ce qu’ils n’ont pas cent fois tourné à l’ennemi ! exclamaient les autres.
Hamilcar s’écria : – Pourquoi donc, malgré vos lois, les avez-vous rappelés à Carthage ? Et quand ils sont dans votre ville, pauvres et nombreux au milieu de toutes vos richesses, l’idée ne vous vient pas de les affaiblir par la moindre division ! Ensuite vous les congédiez avec leurs femmes et avec leurs enfants, tous, sans garder un seul otage ! Comptiez-vous qu’ils s’assassineraient pour vous épargner la douleur de tenir vos serments ? Vous les haïssez, parce qu’ils sont forts ! Vous me haïssez encore plus, moi, leur maître ! Oh ! je l’ai senti, tout à l’heure, quand vous me baisiez les mains, et que vous vous reteniez tous pour ne pas les mordre ! »

Gustave Flaubert, Salammbô, chapitre VII, 1862.
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Charpentier, 1879
 
 

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