Boule de suif
Plat supérieur illustré de la couverture
Guy de Maupassant (1850-1893), auteur ; François Thévenot (1856-1943), illustrateur ; A. Romagnol, graveur, Paris, 1897.
Estampe, gravure sur bois
BnF, Réserve des livres rares, RES-M-Y2-34
© Bibliothèque nationale de France
Maupassant sort de l’anonymat en 1880 avec la publication de Boule de Suif dans le recueil collectif des Soirées de Médan, considéré comme un manifeste du naturalisme. Flaubert salue la nouvelle comme un « chef-d’œuvre ». Comme les autres nouvelles du recueil, Maupassant traite de la guerre franco-prussienne de 1870, qui signe la chute du Second Empire. Dans l’espace clos d’une diligence, Maupassant livre une satire féroce de la bassesse humaine. Neuf personnes, dont une jeune prostituée Boule de Suif, fuient Rouen face à l’avancée des troupes prussiennes. Après avoir partagé ses provisions et accepté, sous la pression des autres voyageurs, de s’offrir à un officier prussien pour permettre à la diligence de continuer sa route, Boule de Suif sera mise au ban. « Enfin, à trois heures, comme on se trouvait au milieu d'une plaine interminable, sans un seul village en vue, Boule de Suif se baissant vivement, retira de sous la banquette un large panier couvert d'une serviette blanche. […] Tous les regards étaient tendus vers elle. Puis l'odeur se répandit, élargissant les narines, faisant venir aux bouches une salive abondante avec une contraction douloureuse de la mâchoire sous les oreilles. Le mépris des dames pour cette fille devenait féroce, comme une envie de la tuer ou de la jeter en bas de la voiture, dans la neige, elle, sa timbale, son panier et ses provisions. Mais Loiseau dévorait des yeux la terrine de poulet. II dit : — "À la bonne heure, madame a eu plus de précaution que nous. Il y a des personnes qui savent toujours penser à tout." — Elle leva la tête vers lui : — "Si vous en désirez, monsieur ? C'est dur de jeûner depuis le matin." — Il salua : — "Ma foi, franchement, je ne refuse pas, je n'en peux plus. À la guerre comme à la guerre, n'est-ce pas, madame ?" — Et, jetant un regard circulaire, il ajouta : — "Dans des moments comme celui-ci, on est bien aise de trouver des gens qui vous obligent." — Il avait un journal qu'il étendit pour ne point tacher son pantalon, et sur la pointe d'un couteau toujours logé dans sa poche, il enleva une cuisse toute vernie de gelée, la dépeça des dents, puis la mâcha avec une satisfaction si évidente qu'il y eut dans la voiture un grand soupir de détresse. […] Le premier pas seul coûtait. Une fois le Rubicon passé, on s'en donna carrément. Le panier fut vidé. Il contenait encore un pâté de foie gras, un pâté de mauviettes, un morceau de langue fumée, des poires de Crassane, un pavé de Pont-l'Evêque, des petits-fours et une tasse pleine de cornichons et d'oignons au vinaigre, Boule de Suif, comme toutes les femmes, adorant les crudités. On ne pouvait manger les provisions de cette fille sans lui parler. Donc on causa, avec réserve d'abord, puis, comme elle se tenait fort bien, on s'abandonna davantage. »