Une partie de campagne
L'inconnue
Boitelle
La parure
Le port
Défet du Gil Blas Illustré, 1892
Guy de Maupassant (1850-1893), auteur ; Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923), illustrateur, 1891-1900.
Estampe
BnF, Fonds du service reproduction, PET FOL-TF-762 (2)
© Bibliothèque nationale de France
Le port est une nouvelle de Maupassant, publiée dans L’Écho de Paris le 15 mars 1889, puis dans le recueil La Main gauche.

« Notre-Dame-des-Vents prit sa place, entre un brick italien et une goélette anglaise qui s’écartèrent pour laisser passer ce camarade ; puis, quand toutes les formalités de la douane et du port eurent été remplies, le capitaine autorisa les deux tiers de son équipage à passer la soirée dehors.
La nuit était venue. Marseille s’éclairait. Dans la chaleur de ce soir d’été, un fumet de cuisine à l’ail flottait sur la cité bruyante pleine de voix, de roulements, de claquements, de gaieté méridionale.
Dès qu’ils se sentirent sur le port, les dix hommes que la mer roulait depuis des mois se mirent en marche tout doucement, avec une hésitation d’êtres dépaysés, désaccoutumés des villes, deux par deux, en procession.
Ils se balançaient, s’orientaient, flairant les ruelles qui aboutissent au port, enfiévrés par un, appétit d’amour qui avait grandi dans leurs corps pendant leurs derniers soixante-six jours de mer. […]
La fête fut complète ! Quatre heures durant, les dix matelots se gorgèrent d’amour et de vin. Six mois de solde y passèrent.
Dans la grande salle du café, ils étaient installés en maîtres, regardant d’un œil malveillant les habitués ordinaires qui s’installaient aux petites tables, dans les coins, où une des filles demeurées libres, vêtue en gros baby ou en chanteuse de café-concert, courait les servir, puis s’asseyait près d’eux.
Chaque homme, en arrivant, avait choisi sa compagne qu’il garda toute la soirée, car le populaire n’est pas changeant. On avait rapproché trois tables et, après la première rasade, la procession dédoublée, accrue d’autant de femmes qu’il y avait de mathurins, s’était reformée dans l’escalier. Sur les marches de bois, les quatre pieds de chaque couple sonnèrent longtemps, pendant que s’engouffrait, dans la porte étroite qui menait aux chambres, ce long défilé d’amoureux.
Puis on redescendit pour boire, puis on remonta de nouveau, puis on redescendit encore. Maintenant, presque gris, ils gueulaient ! Chacun d’eux, les yeux rouges, sa préférée sur les genoux, chantait ou criait, tapait à coups de poings la table, s’entonnait du vin dans la gorge, lâchait en liberté la brute humaine. »
 
 

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