L'Apparition
Gustave Moreau (1826-1898), peintre.
Huile sur toile
Musée Gustave Moreau
© Musée Gustave Moreau
Huysmans a pu contempler les toiles de Gustave Moreau lors des Salons de peinture annuels qui ont lieu à Paris. On sait grâce à sa correspondance avec Mallarmé qu'il possédait une reproduction photographique de Salomé dansant devant Hérode et une eau-forte représentant L'Apparition. Il fait des tableaux de Gustave Moreau l'épicentre des rêveries de Des Esseintes dans À rebours. Taxé d'académisme et rejeté par les réalistes, Gustave Moreau est un peintre qui n'appartenait alors à aucune cote. Il insuffle un souffle à la fois spirituel et sensuel à la peinture d'histoire comme en témoignent les deux toiles consacrées à la légende de Salomé.
Sous la plume de Huysmans, le tableau de Gustave Moreau, L'Apparition, se mue en une hallucination autant érotique que morbide : « Mais l’aquarelle intitulée l'Apparition était peut-être plus inquiétante encore. Là, le palais d’Hérode s’élançait, ainsi qu’un Alhambra, sur de légères colonnes irisées de carreaux moresques, scellés comme par un béton d’argent, comme par un ciment d’or ; des arabesques partaient de losanges en lazuli, filaient tout le long des coupoles où, sur des marqueteries de nacre, rampaient des lueurs d’arc-en-ciel, des feux de prisme. Le meurtre était accompli ; maintenant le bourreau se tenait impassible, les mains sur le pommeau de sa longue épée, tachée de sang. Le chef décapité du saint s’était élevé du plat posé sur les dalles et il regardait, livide, la bouche décolorée, ouverte, le cou cramoisi, dégouttant de larmes. Une mosaïque cernait la figure d’où s’échappait une auréole s’irradiant en traits de lumière sous les portiques, éclairant l’affreuse ascension de la tête, allumant le globe vitreux des prunelles, attachées, en quelque sorte crispées sur la danseuse. D’un geste d’épouvante, Salomé repousse la terrifiante vision qui la cloue, immobile, sur les pointes ; ses yeux se dilatent, sa main étreint convulsivement sa gorge. Elle est presque nue ; dans l’ardeur de la danse, les voiles se sont défaits, les brocarts ont croulé ; elle n’est plus vêtue que de matières orfévries et de minéraux lucides ; un gorgerin lui serre de même qu’un corselet la taille, et, ainsi qu’une agrafe superbe, un merveilleux joyau darde des éclairs dans la rainure de ses deux seins ; plus bas, aux hanches, une ceinture l’entoure, cache le haut de ses cuisses que bat une gigantesque pendeloque où coule une rivière d’escarboucles et d’émeraudes ; enfin, sur le corps resté nu, entre le gorgerin et la ceinture, le ventre bombe, creusé d’un nombril dont le trou semble un cachet gravé d’onyx, aux tons laiteux, aux teintes de rose d’ongle. »
(À rebours, chapitre V, Huysmans)
 
 

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