Salomé dansant devant Hérode
Photographie du tableau de Gustave Moreau
Gustave Moreau (1826-1898), peintre ; Goupil et Cie, photographe, 1878.
BnF, département des Estampes et de la photographie, AD-97 (E, 1)-PET FOL
© Bibliothèque nationale de France
Huysmans a pu contempler les toiles de Gustave Moreau lors des Salons de peinture annuels qui ont lieu à Paris. On sait grâce à sa correspondance avec Mallarmé qu'il possédait une reproduction photographique de Salomé dansant devant Hérode et une eau-forte représentant L'Apparition. Il fait des tableaux de Gustave Moreau l'épicentre des rêveries de Des Esseintes dans À rebours. Les deux toiles d'abord décrites dans le chapitre V du roman réapparaissent dans le chapitre XIV. Des Esseintes met dans la bouche de l'Hérode de Moreau les vers de Mallarmé. Taxé d'académisme et rejeté par les réalistes, Gustave Moreau est un peintre qui n'appartenait alors à aucune coterie. Il insuffle à la fois de la spiritualité et de la sensualité à la peinture d'histoire comme en témoignent les deux toiles consacrées à la légende de Salomé.
Sous la plume de Huysmans, le tableau de Gustave Moreau, Salomé dansant devant Hérode, se mue en récit : « Dans l’odeur perverse des parfums, dans l’atmosphère surchauffée de cette église, Salomé, le bras gauche étendu, en un geste de commandement, le bras droit replié, tenant, à la hauteur du visage, un grand lotus, s’avance lentement sur les pointes, aux accords d’une guitare dont une femme accroupie pince les cordes. La face recueillie, solennelle, presque auguste, elle commence la lubrique danse qui doit réveiller les sens assoupis du vieil Hérode ; ses seins ondulent et, au frottement de ses colliers qui tourbillonnent, leurs bouts se dressent ; sur la moiteur de sa peau les diamants, attachés, scintillent ; ses bracelets, ses ceintures, ses bagues, crachent des étincelles ; sur sa robe triomphale, couturée de perles, ramagée d’argent, lamée d’or, la cuirasse des orfèvreries dont chaque maille est une pierre, entre en combustion, croise des serpenteaux de feu, grouille sur la chair mate, sur la peau rose thé, ainsi que des insectes splendides aux élytres éblouissants, marbrés de carmin, ponctués de jaune aurore, diaprés de bleu d’acier, tigrés de vert paon. Concentrée, les yeux fixes, semblable à une somnambule, elle ne voit ni le Tétrarque qui frémit, ni sa mère, la féroce Hérodias, qui la surveille, ni l’hermaphrodite ou l’eunuque qui se tient, le sabre au poing, en bas du trône, une terrible figure, voilée jusqu’aux joues, et dont la mamelle de châtré pend, de même qu’une gourde, sous sa tunique bariolée d’orange.Ce type de la Salomé si hantant pour les artistes et pour les poètes, obsédait, depuis des années, des Esseintes. »
(Huysmans, À rebours, chapitre V)
 
 

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