Le Cerf se voyant dans l'eau
tome III des Fables de La Fontaine
J.-J. Grandville (1803-1847), dessinateur, Paris, Michel de l'Ormeraie, 1838.
BnF, Réserve des livres rares, Rés. Ye-3402
© Bibliothèque nationale de France
Granville choisit ici d’escamoter en partie le reflet du cerf dans l’eau pour faire mieux ressortir le saisissant contraste entre les longues pattes fuselées tout en hauteur de l’animal et l’envergure de ses bois tout en largeur. Il se tient ainsi au plus près de la conclusion de l’apologue :
« Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile ;
Et le beau souvent nous détruit.
Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ;
Il estime un bois qui lui nuit. »
Il en exalte le sens en caricaturant la morphologie de l’animal, insistant sur son aveuglement et son manque de discernement. Mais ne peut-on pas lire cette fable différemment, en voir l’accent non plus sur une ironie sur le cerf, mais dans une indignation sur la cruauté d’un monde où le prestige et la beauté deviennent les pires ennemis de l’homme ? Tout comme la splendeur du château de Vaux avait perdu Fouquet…
« Dans le cristal d’une fontaine
Un Cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,
Et ne pouvait qu’avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,
Dont il voyait l’objet se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête !
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ;
Mes pieds ne me font point d’honneur.
Tout en parlant de la sorte,
Un Limier le fait partir ;
Il tâche à se garantir ;
Dans les forêts il s’emporte.
Son bois, dommageable ornement,
L’arrêtant à chaque moment,
Nuit à l’office que lui rendent
Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le Ciel lui fait tous les ans.
Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile ;
Et le beau souvent nous détruit.
Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ;
Il estime un bois qui lui nuit. »