Conseil tenu par les Rats
Livre II, fable II
Gustave Doré (1832-1883), dessinateur ; Antoine-Valérie Bertrand, graveur, Paris, édition Hachette, 1867.
Tiré à part d'une gravure sur bois, 23,5 x 19 cm.
BnF, département des Estampes et de la Photographie, DC-298 (I)-FOL
© Bibliothèque nationale de France
« Un chat, nommé Rodilardus
Faisait de rats telle déconfiture
Que l’on n’en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu’il en restait, n’osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son sou ;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un chat, mais pour un diable.
Or un jour qu’au haut et au loin
Le galant alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu’il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.
Dès l’abord leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu’il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu’ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis, ils s’enfuiraient sous terre ;
Qu’il n’y savait que ce moyen.
Chacun fut de l’avis de monsieur le Doyen,
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d’attacher le grelot.
L’un dit : "Je n’y vas point, je ne suis pas si sot" ;
L’autre :"Je ne saurais." Si bien que sans rien faire
On se quitta. J’ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus :
Chapitres non de rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.
Ne faut-il que délibérer,
La Cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d’exécuter,
L’on ne rencontre plus personne. »