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Le franc médiéval, une monnaie de compte

Rue marchande au début du 16e siècle
Rue marchande au début du 16e siècle

Bibliothèque nationale de France

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De 1360, date de sa création, à 1425, moment de sa disparition officielle, le franc connaît un succès et une confiance qui engagent les financiers à l'utiliser comme monnaie de compte. Une situation qui influence durablement la langue française...

Entre sa création et sa disparition officielle après 1425, le franc a circulé légalement et de façon quasi exclusive pendant 25 ans comme la monnaie d'or du roi de France, à un cours équivalant à la livre tournois, l'unité de compte dudit roi. Le franc est amené à circuler à l'étranger, où il est reçu comme une bonne monnaie, une monnaie qui inspire la confiance. Son succès se confirme dans les imitations qui en sont faites par les princes installés à la périphérie du domaine royal.

Succès, crédit et diffusion de la pièce aboutirent logiquement à son adoption comme unité de compte, comme élément de système de compte.

Le besoin d'une monnaie de référence

À la suite de la complexification des systèmes monétaires et de la multiplication des espèces au 12e siècle, des mutations qui les affectèrent à partir du 14e siècle, de nouveaux systèmes de compte furent élaborés sous l'impulsion des comptables publics et privés et des professionnels de l'argent. Une espèce réelle, une bonne monnaie d'or ou d'argent à l'origine, servait à calculer en unités de compte traditionnelles – livres, sous, deniers – des sommes pouvant être représentées par toutes sortes d'espèces, d'or, d'argent ou de billon (mélange d'argent et de cuivre). Cette monnaie de référence, réelle à l'origine, devenait une monnaie de compte qui évaluait toutes les autres monnaie réelles.

Au cours du temps, cette espèce pouvait être émise et réémise, muée, imitée à des conditions très diverses. Il fallait donc convenir d'une pièce de référence relevant d'une émission précise faite à tel poids, tel titre, tel cours. Par exemple, le gros fut l'une de ces monnaies de compte, mais il fut frappé un grand nombre de gros différents au 14e siècle. Aussi s'acorda-t-on pendant plus d'un siècle pour définir le gros de compte à partir du gros tournois français de Philippe VI de l'émission du 6 septembre 1329.

Les systèmes fondés sur une seule pièce présentaient un inconvénient. Comme il n'y avait que rarement un rapport fixe entre or et argent, voire entre argent et billon, il était délicat d'évaluer une monnaie d'un autre métal. C'est pourquoi les systèmes de comptes s'organisèrent autour de plusieurs pièces, une d'or, une d'argent et parfois une de billon.

Le franc, monnaie de compte

Le franc à cheval de Jean II le Bon réunissait les critères propres à en faire une monnaie de compte, ce qu'il devint rapidement après sa création, d'autant que sa valeur correspondait à l'unité monétaire officielle, la livre tournois. Le mot identifiait ainsi de façon sûre une pièce et sa valeur en même temps. Les comptables, à commençer par les agents royaux, utilisèrent de façon indifférenciée franc et livre pour exprimer les sommes. En outre, la longue stabilité du franc par l'intermédiaire du franc à cheval et du franc à pied de Charles V enracina son utilisation comptable.

Le franc de compte se divisait en 16 gros de compte. Il eut de surcroît la chance de correspondre au rapport or-argent des monnaies royales fixé par l'émission du gros tournois de 1361, ce qui permit au système franc-gros d'écarter le système florin-gros (1 florin de 12 gros, 20 deniers ou sous), qui s'était répandu par les marchands et banquiers des régions à l'est du Rhône (le Dauphiné, devenu français en 1349, la Bresse, la Franche-Comté), vers la France (Languedoc, Lyonnais, Forez, Auvergne, Bourgogne). Né avant les grandes mutations, ce système florin-gros s'écartait en effet du rapport entre monnaie d'or et monnaie d'argent.

Le système du franc en était une adaptation aux réalités monétaires du moment, de sorte qu'il fut utilisé dans les provinces de la zone florin-gros, provinces limitrophes du royaume à l'Est et au Sud-Est, de civilisation française, et qui imitèrent le franc à cheval ou le franc à pied. En fonction du florin d'origine, l'adaptation du franc donnait des systèmes différents :

  • Dans le Nord-Est (Lorraine, Bourgogne), c'était le florin de Florence : 5 francs de 10 gros valaient 6 florins de 10 gros. Le gros y était divisé en 20 deniers.
  • En Lyonnais c'étaient 3 francs de 12 gros vieux de 20 deniers ou de 16 gros neufs de 15 deniers, pour 4 florins de 9 gros vieux ou 12 nouveaux.
  • En Languedoc, le rapport fut de 4 francs de 15 gros, puis de 16 gros pour tenir compte du cours de 15 deniers du gros réel, pour 5 florins de 12 gros.

Cela toucha encore le Forez et la Franche-Comté.

En France, le remplacement du franc par l'écu (1385) eut son corollaire dans l'établissement d'un nouveau système de compte, écu-gros. Pourtant, l'équivalence franc-livre devint une parfaite synonymie qui permit au mot franc de survivre aux éclipses plus ou moins longue de la pièce de monnaie et de passer dans la langue française des registres de comptes à la littérature.

À travers quatre siècles de langue française

Le classicisme qui affecte la langue au 17e siècle fait sentir ses effets sur le franc.

Les lexicographes suivent les recommandations des épurateurs de la langue tels que Vaugelas, qui ne conteste pas la synonymie franc-livre, mais tire les conséquences de la différence de leur origine. La livre ne fut jamais un signe monétaire mais une unité pondérale devenue unité de compte avec ses divisions. Le franc avait été une pièce, sans divisionnaire ni fraction. Aussi le franc de compte n'exprimait-il qu'une somme de francs ou de livres. Vaugelas en déduisit la règle d'emploi selon laquelle le terme de franc s'appliquait aux seules sommes « rondes » et importantes. Pour les sommes inférieures à 10 livres, Vaugelas officialisait l'usage populaire et comptable des sous ou de la dénomination d'une espèce choisie en fonction de sa valeur, comme l'écu d'or de trois livres du début du 17e siècle.

Enfin, une autre distinction sembla s'imposer : la valeur d'un bien s'exprimait plutôt en francs, la valeur d'un revenu en livres.