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Extrait

Les révoltes populaires sous Philippe le Bel

Chronique de Jean de Saint-Victor
Chronique de Guillaume de Nangis
Continuation de la chronique de Gérard de Frachet
Aux 14e et 15e siècles eurent lieu de nombreuses révoltes populaires. Celle de 1306 à Paris fut déclenchée par une mutation monétaire qui influait sur le prix des loyers. Elle est relatée par plusieurs auteurs : Jean de Saint-Victor, Guillaume de Nangis et le continuateur de la chronique de Gérard de Frachet.

Jean de Saint-Victor

Cette même année, le roi de France Philippe IV voulut, ainsi qu'il l'avait promis auparavant au pape Benoît XI, rétablir en bon état la monnaie ayant cours dans tout le royaume ; et il fit ordonner, vers la fête de saint Jean Baptiste, partout par les villes et les châteaux du royaume, ainsi qu'il fut consigné dans l'acte, qu'à partir de la Nativité de la Vierge en septembre, tous les contrats seraient passés en bonne monnaie, à la valeur de la monnaie ayant cours au temps de son aïeul Saint Louis, et que tous les revenus et loyers des maisons seraient versés en bonne monnaie. C'est pour cette raison qu'une révolte éclata et beaucoup d'autres par la suite. Les citoyens de Paris, surtout les pauvres et les moyens, qui louaient leurs maisons, à cause de l'augmentation par trois du prix des loyers, ourdirent une conspiration d'abord contre les propriétaires des maisons et ensuite contre le roi. En effet, ces gens en armes et désespérés assiégèrent le roi dans le Temple, où il s'était réfugié avec ses sergents d'armes, ses chevaliers, de nombreux barons et conseillers afin qu'il ne puisse recevoir de nourriture et objets de première nécessité avant de leur avoir parlé pacifiquement à propos de leur requête (ce que le roi refusait, au contraire, il se dérobait). Et parce qu'on disait que le conseiller du roi sur ce sujet était Étienne Barbette, citoyen de Paris et voyer de la ville, ils se réunirent en une seule foule, puis une partie alla incendier entièrement la maison que ledit Étienne avait en dehors de la ville, et l'autre mit à sac une autre maison qu'il avait dans la ville. Et la foule tenait le roi, ses frères et ses barons si bien assiégés dans le Temple qu'aucun d'eux ou de leurs hommes n'osait entrer ou sortir. Ce fut la raison de bien des malheurs : en effet, le roi par la main armée des nobles répondit par la violence, et plusieurs émeutiers furent tués, et d'autres pendus aux arbres près de la ville le jour de l'Épiphanie, pour que tous les voient ; d'autres encore qui n'étaient que suspects, furent emprisonnés quelque temps dans les prisons royales. Il saisit les biens de tous les gens qui avaient été pendus. Quelques innocents furent pendus ; tandis que d'autres, conscients du péril où ils étaient, choisirent la fuite.

1. Socialement et fiscalement, la population parisienne est divisée en « gros », « moyens » et « petits ».
2. Le Temple sert alors de banque de dépôt pour le trésor royal.

Guillaume de Nangis

Le roi Philippe voulut tout à coup rendre plus forte une faible monnaie qu'il avait fait frapper et qui avait cours dans le royaume depuis environ onze ans, surtout parce qu'elle avait peu à peu tellement diminué que (...) le petit florin de Florence valait trente-six sous parisis de cette monnaie courante. Vers la fête de saint Jean Baptiste (fin juin), il fit proclamer publiquement par le royaume un édit du palais pour qu'à compter de la fête suivante de la Sainte Vierge (15 août), toutes les recettes de revenus et remboursements de dettes se fissent désormais au prix de la monnaie forte qui avait cours du temps de Saint Louis, ce qui jeta un grand trouble parmi le peuple. (...)

À l'occasion du changement de l'élévation du cours de la monnaie, et surtout à cause des loyers des maisons, il s'éleva à Paris une funeste sédition. Les habitants de cette ville s'efforçaient de louer leurs maisons et de recevoir le prix de leur location en forte monnaie, selon l'ordonnance royale ; la multitude du commun peuple trouvait très onéreux qu'on eût triplé par là le prix accoutumé. Enfin quelques homme du peuple, s'étant réunis avec beaucoup d'autres contre le roi et contre les bourgeois, marchèrent en grande hâte vers la maison du Temple1 à Paris, où ils savaient qu'était le roi, mais n'ayant pu arriver jusqu'à lui, ils s'emparèrent aussitôt, autant qu'ils le purent, des entrées et issues de la maison du Temple pour qu'on n'apportât pas de nourriture au roi. Ayant appris ensuite qu'Étienne Barbette, riche et puissant citoyen de Paris, directeur de la monnaie et des chemins de la ville, avait été le principal conseiller de l'ordonnance au sujet du loyer des maisons (...), transportés contre lui d'une rage cruelle, ils coururent d'abord avec une fureur unanime dévastée une maison remplie de richesses qu'il avait hors des portes de la ville, dans le faubourg, près de Saint-Martin-des-Champs. Le roi, l'ayant appris, ne put souffrir davantage que de tels outrages commis envers lui et ledit citoyen demeurassent impunis, et ordonna de livrer sur-le-champ à la mort tous ceux qu'on trouverait les auteurs ou excitateurs de ces crimes. Plusieurs des plus coupables furent par son ordre pendus hors les portes de la ville, (...) et surtout aux portes les plus grandes et les plus remarquables, afin que leur supplice effrayât les autres et réprimât leur révolte.

1. Le Temple sert alors de banque de dépôt pour le trésor royal.

Continuation de Gérard de Frachet

À cause d'une mutation monétaire, c'est-à-dire du passage de la monnaie faible à une monnaie forte, une révolte désagréable s'éleva à Paris à cause des loyers des maisons. En effet, les citoyens de Paris étaient forçés de louer leurs maisons et d'acquitter leurs loyers en monnaie forte selon l'ordonnance royale, ce qui correspondait pour le petit peuple à s'acquitter d'un loyer presque triplé par rapport au prix habituel. Enfin, une foule de gens du peuple et des bourgeois de Paris, excités contre le roi, se dirigèrent aussitôt vers la maison du Temple à Paris, dans laquelle ils savaient que le roi s'était réfugié, et demandèrent de pouvoir accéder devant lui et quand cela leur fut refusé, ils bloquèrent les issues de la forteresse du Temple par la force, afin que les vivres ne puissent être apportés au roi. De plus, quand ils se rendirent compte qu'Étienne Barbette, citoyen de Paris, riche et puissant, qui était officier voyer de la cité, était le principal conseiller et à l'origine de l'ordonnance sur le loyer des maisons, très en colère contre lui, ils livrèrent au pillage puis aux flammes d'abord la maison qu'il avait hors des murs de la cité, puis la maison qu'il habitait près de Saint-Martin dans le faubourg. Quand le roi découvrit ces méfaits, ne supportant pas plus longtemps le mal qui avait été fait à lui-même et à son bourgeois, il punit de mort tous les fauteurs de troubles qu'il put trouver. Et il fit pendre les plus coupables, hors des portes de la cité, aux arbres les plus proches, ainsi qu'à des fourches patibulaires installées aux entrées les plus importantes de la ville.

Chronique de Jean de Saint-Victor, dans Léopold Delisle, Recueil des historiens des Gaules et de la France, XXI, Paris : Imprimerie impériale, 1855, p. 646-647. Traduit du latin.
Guillaume de Nangis, Chronique, dans Guizot (éd.), Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France, Paris : J.-L.-J. Brière, 1825, p. 262.
Gérard de Frachet, Chronique, dans Léopold Delisle, Recueil des historiens des Gaules et de la France, XXI, Paris : Imprimerie impériale, 1855, p. 27. Traduit du latin.
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