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Extrait

Création du nouveau franc

Charles de Gaulle, Mémoires d'espoir
Lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir en 1958, il doit assumer l'héritage économique contrasté de la IVe République. Dans le domaine des finances publiques, le précédent régime a dû, pour reconstruire et moderniser le pays, accumuler les déficits budgétaires, alourdir la dette publique, financer les dépenses par une inflation qui s'est aggravée avec la guerre d'Algérie. Cela, ajouté à un déficit chronique de la balance commerciale, explique la dépréciation du franc qui fut dévalué à six reprises depuis la Libération.
De Gaulle entreprend un assainissement financier afin de libérer les échanges pour soumettre l'économie française à la concurrence internationale et lui permettre d'entrer effectivement dans le Marché commun. Il fait appel à Antoine Pinay, ancien parlementaire de la IVe République chargé d'inspirer la confiance aux décideurs économiques et aux petits épargnants, ainsi qu'à Jacques Rueff, théoricien du libéralisme et ancien conseiller de Poincaré, pour mettre en œuvre ce plan de redressement et rendre « au vieux franc français une substance conforme au respect qui lui est dû ».
Parallèlement à une dévaluation de 17,5 %, le gouvernement crée en décembre 1958 le franc lourd qui vaut 100 anciens francs. La monnaie française est mise à parité avec les solides devises comme le deutsche Mark ou le franc suisse. Le nouveau franc, redevenu le « franc » le 1er janvier 1963, est resté stable jusqu'en 1969. Si le général de Gaulle est parvenu difficilement à maintenir sa valeur jusqu'à son départ, les tendances inflationnistes n'ont cessé de peser sur l'expansion française.
    

Il s'agit de la monnaie, critère de la santé économique et condition du crédit, dont la solidité garantit et attire l'épargne, encourage l'esprit d'entreprise, contribue à la paix sociale, procure l'influence internationale, mais dont l'affaiblissement déchaîne l'inflation et le gaspillage, étouffe l'essor, suscite le trouble, compromet l'indépendance ; je donnerai à la France un franc modèle, dont la parité ne changera pas aussi longtemps que je serai là et que même, malgré les mauvais coups portés à notre pays au printemps de 1968 par l'alliance des chimères, des chantages et des lâchetés, je maintiendrai jusqu'au bout grâce aux énormes réserves de devises et d'or que la confiance aura, en dix ans, accumulées dans nos caisses. 

[…]

La deuxième série de décisions prévue par le projet se rapporte à la monnaie. Le but est que celle-ci, après les onze diminutions de parité qu'elle a subies depuis 1914 où elle était encore le « franc-or » de Napoléon, soit, à la fin des fins, rétablie sur une base stable et fixée de manière à ce que les prix de nos produits deviennent compétitifs dans la concurrence mondiale où nous allons nous engager. Aussi, une dévaluation de 17,5 % est-elle recommandée. Mais il s'agit qu'à partir de là notre monnaie ait désormais une valeur immuable, non point seulement proclamée en France - ce qui conduit à interdire, comme autant de doutes affichés, toutes les indexations à l'exception de celle du SMIG1 - mais aussi reconnue par l'étranger. Le franc sera donc convertible, c'est-à-dire librement interchangeable avec les autres devises. En outre, pour rendre au vieux franc français, dont les pertes expriment nos épreuves, une substance respectable, le franc nouveau, valant cent anciens, apparaîtra dans les comptes ainsi que sur l'avers des pièces et le libellé des billets.

1. SMIG : salaire minimum interprofessionnel garanti créé en 1950, indexé sur les prix afin que le pouvoir d'achat de ce minimum vital soit préservé. Il est remplacé par le SMIC en 1968, salaire minimum interprofessionnel de croissance, afin d'ajouter à l'indexation sur les prix un mécanisme d'indexation sur la croissance et les gains de productivité.

C. de Gaulle, Mémoires d'espoir, « Le Renouveau », Paris : Plon, 1970-1971.
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