Deux héros médiatiques
L'abbé Pierre et Bernard Kouchner, en avion, au cours d'une mission vers l'ex-Yougoslavie
Photographie par Alexis Duclos. Parue dans Paris-Match, n° 3010, 25-31 janvier 2007, p. 42-43
Collection particulière
© Alexis Duclos / Gamma
Henri Grouès, plus connu sous le nom d'abbé Pierre (1912-2007) est, comme Bernard Kouchner (né en 1939), représentatif de cette famille de nouveaux héros qui tentent de concilier engagement politique et principes humanitaires dans des combats médiatiques qui les ont rendus populaires. Après avoir été résistant, Henri Grouès entame une carrière politique avant de fonder les Compagnons d'Emmaüs, en 1949. Son célèbre appel à une "insurrection de la bonté" lancé sur Radio-Luxembourg le 1er février 1954 lui confère un statut de héros. Roland Barthes, dans Mythologies, note qu'en lui "sont réunis les chiffres de la légende et ceux de la modernité". Mais l'abbé Pierre est plus proche du héros, que l'acte qualifie comme tel, que du saint, dont la vie doit être irréprochable. Son soutien regrettable, en 1996, à son ami négationniste Roger Garaudy, n'est pas retenu par l'opinion publique, qui s'attache surtout à l'action inlassable menée contre la misère par "l'abbé de combat".
Bernard Kouchner fut, dans sa jeunesse, un militant actif des Jeunesses communistes, très engagé dans le mouvement de Mai 1968, avant de partir comme médecin au Biafra, région sécessionniste, soumise au blocus des autorités nigérianes (1967-1970). Alors que les médias retransmettent massivement en Occident les images terribles de la famine, naît, en 1971, à l'initiative notamment de Bernard Kouchner, le "sans-frontiérisme", mouvement humanitaire qui tente à travers des missions d'organisations non gouvernementales comme Médecins sans frontières (MSF) de pallier la paralysie des États et des lourdes structures comme la Croix-Rouge en s'immisçant dans les pays touchés par des catastrophes. En 1980, Bernard Kouchner fonde Médecins du monde (MDM) à la suite d'un désaccord avec MSF quant à l'exposition médiatique des actions à mener. Dans les années 1980, il défend la notion de droit d'ingérence humanitaire contre la souveraineté des États. Haut fonctionnaire international, son engagement politique en France a varié. Sans jamais obtenir de mandat électif individuel, sa popularité et son expérience lui ont cependant permis d'être ministre de gouvernements de différents bords politiques.