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Qu’y a-t-il de commun entre Batman et Lancelot, chevalier du Moyen Âge ? Entre la résistante Lucie Aubrac, et Achille, légendaire combattant de la guerre de Troie ? Peu de choses, sinon la réponse à un besoin, de l’individu ou d’un groupe social, de se projeter dans un modèle, de construire son imaginaire en le tendant vers un horizon d’excellence, un dépassement, une transcendance.
Construit par les élites occidentales, le héros incarne à l'origine des valeurs de courage et d’excellence. Il sert de modèle à l’aristocratie. C’est parce qu’il est « bien né » que le héros accomplit des actes extraordinaires. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, le héros est un personnage noble qui voyage, combat et conquiert.
Dans la Grèce antique, on ne devient pas héros ; on l’est par la volonté des dieux. Achille, Hector, les princes et chefs de guerre de l’Iliade d’Homère cherchent par la "belle mort", en pleine jeunesse, la gloire éternelle dans la mémoire des vivants. Le développement du christianisme fait émerger en Occident de nouvelles figures exceptionnelles : le saint, le roi, le preux. La prééminence accordée au héros guerrier empêche généralement les femmes, même si leur rôle fut important dans certaines fonctions de pouvoir, d’accéder à ce modèle héroïque.
En France, la Révolution marque une étape fondamentale. La Nation devient l’expression politique de la souveraineté populaire et ses héros sont alors chargés d’incarner les valeurs de liberté, d’égalité et d’unité. La grandeur de leurs actes tient à leur mérite, plus qu'à leur naissance. Pourtant le héros est toujours celui qui se hisse au dessus des autres par un engagement total, jusqu’au sacrifice patriotique. Si les femmes doivent être intégrées à la Nation, elles ne sont pas censées agir au XIXe siècle : aussi saintes ou allégories restent-elles les modèles d’excellence féminine les plus souvent proposés.
La violence de masse de la première guerre mondiale condamne le modèle du héros glorieux. C’est l’image de la victime qui l’emporte. Mais dans l’entre-deux-guerres apparaissent des régimes totalitaires qui réactivent l'instrumentalisation des héros. Par un recours massif à la propagande, ils cherchent à créer "l’homme nouveau" : héros de la classe ouvrière en URSS ; surhomme, viril et racialement pur, dans l'Allemagne nazie.
Dernière grande figure héroïque nationale, le Résistant porte dans son combat un projet social et politique. Il hérite d’un modèle traditionnel dans l’histoire de France : celui du héros qui se sacrifie pour sauver les valeurs de la patrie vaincue ou menacée.   Après la Seconde guerre mondiale, le monde des héros est soumis en Europe à une profonde mutation. Les grandes figures politiques et collectives héritées des conflits du XXe siècle s’affaiblissent ou se transforment. Héroïsme et humanisme tentent de se rapprocher, dans une condamnation de la violence guerrière et machiste. Cette dernière subsiste cependant et reste valorisée dans des univers virtuels, filtrée et encadrée à travers des personnages de cinéma, de jeux vidéo, des séries télévisées. Le sacrifice ultime n’est plus nécessaire en Occident pour que le héros soit plébiscité. Démocratie et individualisme valorisent les héros du mérite et de la performance, notamment à travers le sport. Le système médiatique est devenu le grand producteur de héros, souvent confondus avec les célébrités ou les victimes. La mondialisation entraîne une rotation rapide et une diversification des figures exceptionnelles qui font dès lors plus large place aux femmes. Le héros s’use vite. Le nom de Gilgamesh, héros-roi d’Uruk, nous a été légué par un récit légendaire de la Mésopotamie ancienne. Quel héros peut aujourd’hui prétendre demeurer dans la mémoire humaine ne serait-ce que quelques décennies ?
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