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Roi de Macédoine à 20 ans, Alexandre le Grand est entré dans la légende de son vivant, par des gestes symboliques forts et par l'ampleur de ses conquêtes. Rien ne lui résistait ; cas unique dans l'Histoire, il n'a connu aucune défaite. Sa volonté de rivaliser avec Achille et Héraclès qu'il disait ses ancêtres, la rumeur même qui faisait de lui le fils de Zeus, participent autant du mythe que la fulgurance de sa destinée et sa mort, à 33 ans, au faîte de sa gloire. La légende s'est perpétuée chez les historiens gréco-latins avant de se fixer à Alexandrie, aux IIIe-IVe siècles de notre ère. Dès lors, elle sera reprise dans de multiples langues, à chaque fois transformée, amplifiée, transfigurée dans une dilatation de l'espace et du temps.

En Occident, la légende est transcrite en langue romane à partir du XIIe siècle. Les écrivains du Moyen Âge s'approprient la figure d'Alexandre. Ils lui prêtent leur propre mode de vie, chevaleresque et courtois, leur rêve de gloire et d'éternité. Le héros, adoubé chevalier à quatorze ans, s’illustre dans des faits d’armes en Arménie. Il choisit douze fidèles compagnons qui deviennent ses pairs et l'accompagnent au Moyen Orient où de nombreuses places fortes tombent avant qu'il n'entre en Perse. Là, il livre trois grandes batailles contre Darius, qui prend la fuite vers l’Orient où ses proches l'assassinent. Maître de l'immense empire perse, Alexandre part pour conquérir l'Inde et triompher du roi Porus. La légende, qui s'efforçait jusqu'ici de suivre l'Histoire, bascule alors dans un espace fantastique, ces fabuleux lointains de l'Inde où se déroulent des aventures merveilleuses. Alexandre explore des contrées inconnues, jusqu'aux confins du monde où il enferme les barbares de Gog et Magog. Il pénètre des espaces inaccessibles, frappant aux portes du Paradis, voyageant sous la mer dans une cloche de verre, ou s'élevant dans le ciel en nacelle tirée par des griffons. L'invincible macédonien rencontre des peuples effrayants, cannibales et licencieux, des hommes difformes, des femmes velues, des géants, des cyclopes, des cynocéphales. Il lutte contre des monstres terrifiants, lions sanguinaires, éléphants en furie, sangliers sauvages, serpents semblables à des dragons, ou poissons carnassiers. Sa traversée des déserts indiens devient une expérience initiatique où le héros, élu de Dieu, triomphe du Mal.
La légende orientale se constitue elle aussi autour du XIIe siècle. Evoqué dans le Coran, Alexandre pénètre le monde islamique où il devient sous le nom d'Iskandar un héros mythique, souverain idéal, à la fois conquérant, sage et prophète. S'il part pour l'Afrique, c'est à la demande des Egyptiens, pour les délivrer de l'oppression des Noirs de Zang, les Ethiopiens. La victoire le laisse songeur sur la nécessité de telles atrocités. Refusant de lui payer un tribut, Iskandar livre bataille contre Dârâ. Mais le roi des Perses est trahit par ses propres généraux. Il meurt dans les bras d'Iskandar en lui léguant son trône. Loin de glorifier la guerre, le conquérant cherche désormais à convaincre, afin que les peuples se soumettent d'eux-mêmes, sans combattre. L'Inde et la Chine font allégeance, mais les Rûs ravagent sans raison ni loi. Ils l'obligent à mener sept batailles où les forces du Bien affrontent celles du Mal. Maître du monde, Iskandar veut toucher aux extrêmes, percer les mystères, dépasser les limites de l'homme et du divin. Sa figure persane se prête à des thèmes philosophiques auxquels elle confère une empreinte mystique, et même prophétique car Iskandar annonce l'Islam. Il disserte avec les sages sur la vanité des choses, discute science, morale et cosmographie avec Socrate, Platon ou Thalès. Il fait le lien entre l'Antiquité grecque et le monde musulman.

Modèle du bon roi, juste et généreux, conquérant exemplaire et respectueux des vaincus, archétype du roi philosophe, sage et savant, Alexandre est une figure universelle, celle du héros civilisateur, métissant les cultures et réunissant tous les peuples sous une même bannière. Son aventure, transformée en mythe dans les civilisations orientales et occidentales, comme dans les religions monothéistes, témoigne d'une aspiration utopique, celle de concilier les contraires, de marier ces mondes pluriels que sont l'Orient et l'Occident.
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