Saladin appelle à la contre-croisade par Abû Shâma
   
 

Abû Shâma, né à Damas en 1203, a écrit le Livre des deux jardins, récit des règnes de Nûr al-Dîn et Saladin qui s'inspire largement d'ouvrages d'historiens antérieurs.

 

 
  • Comment Abû Shâma présente-t-il le comportement des Francs et celui des musulmans ?
  • Quel est selon lui l'objectif des Francs ?
  • Que reproche-t-il aux musulmans ?

 



Nous espérons que le Dieu Très-Haut – qu'Il soit loué – apaisera ce qui agite les musulmans et ruine leur prospérité. Aussi longtemps que la mer apportera des renforts à l'ennemi et que la terre ne les repoussera point, nos provinces en souffriront perpétuellement et nos cœurs seront sans cesse affligés par les dommages qu'ils nous causent. Où est le sens de l'honneur des musulmans, où sont la fierté des croyants, le zèle des fidèles ? C'est pour nous un constant sujet d'étonnement que de voir combien les Infidèles se soutiennent les uns les autres, et combien les musulmans sont réticents. Aucun d'eux ne répond à l'appel, aucun ne vient redresser ce qui est tordu ; regardez au contraire à quel point en sont arrivés les Francs, quelle alliance ils ont nouée, quels objectifs ils poursuivent, quelle aide ils se prêtent, quelles dettes avec intérêt ils ont contractées, quelles richesses ils ont recueillies, distribuées et divisées entre eux ! Pas un roi, dans leurs pays et leurs îles, pas un grand seigneur qui n'ait rivalisé avec son voisin dans le concours de l'aide à fournir, qui n'ait lutté avec son égal pour un sérieux effort de guerre ! Pour défendre leur religion, ils n'ont pas hésité à prodiguer la vie et le courage, à procurer à leurs troupes impures toutes sortes d'armes de guerre. Et tous ces efforts, ils ne les ont fournis que par pur zèle envers celui qu'ils adorent, pour défendre jalousement leur foi. Il n'est pas un seul des Francs qui ne comprenne que, si nous procédons à la reconquête du littoral [de Syrie] et si nous déchirons le voile de leur honneur, ce pays leur tombera des mains et que nous pourrons alors étendre nos mains pour aller à la conquête du leur. Les musulmans, en revanche, se sont relâchés et démoralisés. Devenus négligents et paresseux, ils se complaisent dans une surprise impuissante et perdent toute ardeur. Si l'islam devait tourner bride – Dieu nous en protège ! –, si sa splendeur devait s'obscurcir et son épée s'émousser, on ne trouverait ni à l'est ni à l'ouest, ni près de nous, ni loin de nous, des gens qui s'enflammeraient de zèle pour la religion de Dieu et viendraient au secours de la vérité contre l'erreur. C'est pourtant le moment de combler tout retard, de rassembler tous ceux, proches ou lointains, qui ont du sang dans les veines. Mais, grâce à Dieu, nous avons confiance dans le secours qu'Il nous enverra ; nous avons confiance en Lui du fond de notre âme et de notre dévotion : s'il Lui plaît, les mécréants périront et les croyants obtiendront sécurité et salut.

Abû Shâma, II, 148.
Extrait de F. Gabrieli, Chroniques arabes des croisades, Sindbad,1977.

   
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