Description de Jérusalem par al-Idrîsî

 

Depuis le triomphe du christianisme dans l'Empire romain au IV<e siècle jusqu'aux croisades, la tradition du pèlerinage vers Jérusalem n'a guère connu d'interruptions, la conquête musulmane n'ayant pas interdit l'accès des chrétiens et des juifs à la Ville sainte pour les trois religions. Maîtres de la ville en 1099, les croisés transformèrent en églises les mosquées et expulsèrent musulmans et juifs. Les Latins furent à leur tour chassés lors de la reconquête de la ville par Saladin en 1187. Mais dès le XIIIe siècle, la tradition du pèlerinage des Occidentaux reprend.
À Jérusalem, les juifs viennent prier au pied du mur des Lamentations, vestige du Temple de Salomon, reconstruit par Hérode au Ier siècle avant J.-C. et détruit par les Romains en 70 après J.-C. Le voyage pénitentiel est pour les chrétiens un moyen de salut puisqu'une visite à l'église du Saint-Sépulcre élevée sur l'emplacement du tombeau du Christ permet la rémission des péchés. Enfin, Jérusalem est la troisième ville sainte de l'islam après La Mecque et Médine en raison de la tradition du Voyage nocturne de Mahomet vers les cieux. Deux édifices furent construits pour commémorer cette Ascension : le Dôme du Rocher au VIIe siècle et la mosquée Al-Aqsâ (VIIe-XIe siècles).

 

 
  • Citer les passages du texte qui montrent que Jérusalem est un lieu de pèlerinage pour les trois religions du Livre.
  • Relever et classer les lieux saints pour chacune de ces religions.

 

   

Jérusalem est une ville illustre, de construction immémoriale et éternelle. Elle porta le nom d'Îliyâ'. Située sur une montagne accessible de tous les côtés, elle est allongée et s'étend de l'ouest à l'est. À l'occident se trouve la porte dite du Mihrâb ; elle est dominée par la coupole de David (sur qui soit le salut !) ; à l'orient, la porte dite de la Miséricorde (bâb al-Rahma) qui est ordinairement fermée et ne s'ouvre que lors de la fête des rameaux; au sud, la porte de Sion (Sihyûn) ; au nord, la porte dite d''Amûd al-Ghurâb. En partant de la porte occidentale ou d'al-Mihrâb, on se dirige vers l'est par une rue et l'on parvient à la grande église dite de la Résurrection, et que les musulmans appellent Qumâma. Cette église est l'objet du pèlerinage de tout l'Empire grec d'Orient et d'Occident. On y entre par la porte occidentale et l'on parvient directement sous le dôme qui couvre toute l'église et qui est l'une des choses les plus remarquables du monde.
(…)
Après être descendu dans l'église, le spectateur trouve le très vénéré Saint-Sépulcre ayant deux portes et surmonté d'une coupole d'une construction très solide, très bien construite et d'une décoration exceptionnelle; de ces deux portes l'une fait face, du côté du nord, à la porte de Santa-Maria, l'autre fait face au sud et se nomme porte de la Crucifixion : c'est de ce côté qu'est le clocher de l'église, clocher vis-à-vis duquel se trouve, vers l'orient, une (autre) église considérable, immense, où les Francs chrétiens célèbrent la messe et communient. À l'orient de cette église, et un peu au sud, on parvient à la prison où le seigneur Messie fut détenu et au lieu où il fut crucifié. La grande coupole (de l'église de la Résurrection) est circulairement percée à ciel ouvert et on y voit tout autour et intérieurement des peintures représentant les prophètes, le seigneur Messie, sainte Marie sa mère et saint Jean Baptiste. Parmi les lampes qui sont suspendues au-dessus du Saint-Sépulcre, on en distingue trois qui sont en or et qui sont placées au-dessus de la tombe. Si vous sortez de l'église principale en vous dirigeant vers l'orient, vous rencontrerez la sainte demeure qui fut bâtie par Salomon, fils de David - sur lui le salut ! - et qui fut un lieu de prière et de pèlerinage du temps de la puissance des juifs. Ce temple leur fut ensuite ravi et ils en furent chassés. À l'époque où arrivèrent les musulmans, il fut de nouveau vénéré et c'est maintenant la grande mosquée connue par les musulmans sous le nom de mosquée al-Aqsâ. Il n'en existe pas au monde qui l'égale en grandeur, si l'on en excepte toutefois la grande mosquée de la capitale de l'Andalousie (dyâr al-Andalus) ; car, d'après ce qu'on rapporte, le toit de cette mosquée est plus grand que celui de la mosquée al-Aqsâ. L'aire de cette dernière forme un parallélogramme dont la hauteur est de deux cents brasses, et la base de cent quatre-vingts. La moitié de cet espace, celle qui est voisine du Mihrâb, est couverte de dômes en pierre soutenus par plusieurs rangs de colonnes ; l'autre est à ciel ouvert. Au centre de l'édifice il y a un grand dôme connu sous le nom de Dôme du Rocher ; il fut orné d'incrustations d'or et d'autres beaux ouvrages, par les soins de divers califes musulmans. Au centre se trouve un rocher tombé (du ciel) de forme quadrangulaire comme un bouclier ; au centre du dôme, l'une de ses extrémités s'élève au-dessus du sol de la hauteur d'une demi-toise ou environ, l'autre est au niveau du sol ; elle est à peu près cubique, et sa largeur égale à peu près sa longueur, c'est-à-dire près de dix coudées. Au pied et à l'intérieur il y a une caverne, comme une cellule obscure, de dix coudées de long sur cinq de large, et dont la hauteur est de plus d'une toise ; on n'y pénètre qu'à la clarté des flambeaux. Le dôme est percé de quatre portes ; en face de celle qui est à l'occident, on voit l'autel sur lequel les enfants d'Israël offraient leurs sacrifices ; près de la porte orientale, on voit l'église nommée le Saint des Saints, d'une construction élégante. Au sud se trouve le bâtiment voûté qui était à l'usage des musulmans ; mais les chrétiens s'en sont emparés de vive force et il est resté en leur pouvoir jusqu'à l'époque de la composition du présent ouvrage. Ils en ont fait des logements où résident des religieux de l'ordre des templiers, c'est-à-dire des serviteurs de la maison de Dieu. Enfin la porte septentrionale est située vis-à-vis d'un jardin bien planté de diverses espèces d'arbres et entouré de colonnade de marbre sculptées avec beaucoup d'art. Au bout du jardin se trouve un réfectoire pour les prêtres et pour ceux qui se destinent à entrer dans les ordres.

Al-Idrîsî, Nuzhat al-mushtaq fî ikhtirâq al-âfâq,
encore appelé Livre de Roger. Sicile, 1154.

   
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