La tradition chrétienne
   

    
  La Terre est bien ronde
    
 

Contrairement à une opinion encore trop largement répandue, la Terre n’a pas été considérée par tous au Moyen Âge comme un disque plat flottant sur les eaux. La notion de sphéricité terrestre héritée de la géographie astronomique des Grecs n'a jamais disparu. Dès le VIIe siècle, au moment où apparaissent les premières mappemondes*, la Terre est désignée par le terme sans équivoque de globus, un globe, ou sphera, une sphère. La partition en cinq zones proposée par Parménide (544-450 av. J.-C.) au Ve siècle avant J.-C. – une zone torride, deux tempérées et deux glaciales – a été transmise par les auteurs de l'Antiquité tardive. Sous l'influence conjointe des textes astronomiques arabes et des traductions de Ptolémée (90-168), cette division en zones sera parfois remplacée par une division en "climats*" qui permettent de prédire, comme l'explique la Tétrabible, les qualités universelles.
    

  Le partage du monde habité

La plupart des représentations médiévales ne considèrent que la Terre habitée : ce sont les "mappemondes". Parfois, leur forme ovale, en "chlamyde", vient rappeler qu'elles ne figurent qu'une partie de la Terre. Héritées des représentations antiques partiellement conservées, ces mappemondes reflètent la manière dont la chrétienté conçoit l’évolution historique et la localisation de l’humanité. Leur division tripartite – Asie, Afrique, Europe – résulte du partage réalisé après le Déluge entre les fils de Noé : l’Asie des hommes libres ou des prêtres pour Sem ; l’Afrique des esclaves ou des travailleurs pour Cham ; l’Europe des guerriers pour Japhet. Cette référence biblique permet d’embrasser l’humanité entière dans des divisions ethniques et sociales.
    

  L'image du monde en TO
 

Dès le VIIIe siècle, les représentations schématiques de la Terre habitée prennent la forme dite du "T dans l’O" : les trois continents, inscrits dans le O de l’anneau océanique, sont séparés par le T dont la hampe figure la Méditerranée et les branches représentent deux fleuves : l’une le Tanaïs*, limite traditionnelle entre l'Europe et l'Asie ; l’autre le Nil, partage ordinaire de l'Asie et de l'Afrique. Ce monde est fini, clos par le cercle océanique infranchissable.
    


    
 

L’orientation s’inscrit dans une perspective théologique fondée sur l’histoire d’Adam et Ève, et sur la Passion du Christ. Les mappemondes sont orientées vers l'est, c’est-à-dire vers le soleil levant, par analogie avec le Christ, vrai Soleil et lumière véritable. L’Orient et le paradis terrestre sont placés en haut, complétés parfois par un Christ en croix, tête à l’est, pieds à l’ouest et bras au nord et au sud. À partir du XIIesiècle, la signification spirituelle de ces représentations sera renforcée par la position centrale de Jérusalem, "ombilic de la Terre".
À l’intérieur de ces trois parties du monde s’insère plus tardivement la représentation des montagnes, "ossature de la Terre", et des fleuves qui la "parcourent comme les veines d’un grand corps". Puis viennent des vignettes urbaines évoquant les cités, agrémentées de tours, de murailles ou d’églises. La forme traditionnelle du TO tend à disparaître derrière la complexité du tracé tandis que les légendes et les vignettes occupent une place de plus en plus importante. Miroir de la création, une mappemonde en TO des plus complexes, celle d'Ebstorf, se présente comme une véritable encyclopédie du monde médiéval.

 explorer la mappemonde d'Ebstorf
   

  Les cartes portulans

    
  Dans un contexte d’essor du commerce maritime, une nouvelle représentation cartographique, résultat de l’observation des marins, se répand au XIVe siècle depuis l’Italie. Ce sont les "portulans*", à la fois textes décrivant les côtes et les ports, et cartes nautiques peintes sur parchemin avec l’indication des îles, abris et amers pour reconnaître un rivage. En toile de fond se développe un réseau de lignes géométriques appelé "marteloire*", différent du quadrillage des parallèles et des méridiens. Issues des roses des vents, ces lignes de rhumbs* ne servent pas à mesurer les distances, mais indiquent aux marins les angles de route pour se diriger avec la règle, le compas et surtout grâce à la toute nouvelle boussole*. Le nord se trouve désormais orienté en haut.
    
  La redécouverte de Ptolémée
  Vers 1300, un moine grec, Maxime Planude (1260-1310), dessine les cartes de Ptolémée (90-168) sur la base d’une traduction arabe de la Géographie. Rapporté de Constantinople à Florence, le texte arabe est traduit à son tour en latin vers 1406. C’est alors le début d’un très grand succès pour lequel le traducteur impose un nouveau titre, Cosmographia, pour signifier que la connaissance de la Terre implique la référence au cosmos*. L’ouvrage, dont les cartes datent de près de quatorze siècles, est appréhendé de manière novatrice : la "cosmographie" traite de l’espace géométrisé, la "géographie" décrit l’ensemble du globe, et la "chorographie" détaille les régions.
    
 
    
 

Comme le monde n’a pas encore changé et parce que son contenu théorique et méthodologique permet d’intégrer des connaissances récentes et les découvertes à venir, ce livre restera d’actualité jusqu’à la Renaissance.