C’est sans compter avec les Presses de la Cité. Depuis 1947, Sven Nielsen, leur fondateur, mène de front distribution et édition. Pour cela, il parie sur un catalogue d’auteurs populaires à forts tirages : romans policiers puis best-sellers américains (Frank G. Slaughter, Irwin Shaw), romans d’aventures de Jean Lartéguy (Les Centurions, Les Prétoriens), espionnage avec les aventures d’OSS 117 enlevé aux éditions du Fleuve noir en 1953… Sa rapide réussite illustre l’importance que prend dorénavant la distribution dans l’économie de l’édition et dans une stratégie d’indépendance à l’égard de la Librairie Hachette.
Fortes d’une capacité de financement acquise par leur introduction en Bourse, les Presses de la Cité entament à leur tour une série de rachats : la Librairie académique Perrin en 1959, les éditions GP – qui publient la grande collection pour enfants Rouge et Or – en 1961, les éditions du Fleuve noir en 1962, Julliard, Plon et UGE (qui publie la collection « 10/18 ») définitivement acquis en 1965.
Dans la décennie suivante, chacun des deux éditeurs poursuit ses acquisitions pour conforter ses positions : Hachette reprend Le Masque en 1971 et Marabout en 1976 tandis que les Presses de la Cité rachètent Garnier, mais surtout s’associent avec Bertelsmann pour développer France Loisirs.
Le nombre des maisons de taille moyenne s’est encore réduit et, quand se clôt le XXe siècle, l’on s’interroge sur la capacité d’éditeurs comme Gallimard, Flammarion, le Seuil ou Albin Michel à garder leur indépendance. Bien que les trois premières maisons possèdent, comme Hachette, sociétés de distribution et collections de poche, qui leur assurent une rentabilité certaine, elles semblent à la merci d’une erreur stratégique ou d’une crise de succession comme Gallimard en a connu au début des années 1990. Or, après le rachat de Delagrave (1993), Casterman (1999) et une prise de participation dans le capital des Presses universitaires de France et d’Actes Sud (2000), la famille Flammarion décide de vendre sa maison d’édition au groupe italien Rizzoli ; quant aux éditions du Seuil, elles sont rachetées en 2004 par les éditions de La Martinière soutenues par une société d’investissement. Aucun de ces deux éditeurs n’a choisi de rejoindre l’un des deux premiers groupes français, mais leur mutation illustre deux phénomènes apparus récemment dans la vie de l’édition française : la dépendance à l’égard d’investisseurs extérieurs au monde du livre et l’internationalisation du marché de l’édition. En effet, si Hachette est aujourd’hui propriétaire de plusieurs grands groupes d’édition étrangers, en France on compte parmi les douze premiers éditeurs par le chiffre d’affaires, outre l’Espagnol Planeta et l’Italien Rizzoli, déjà cités, le Néerlandais Wolters-Kluwer et l’Anglo-néerlandais Reed-Elsevier, qui dominent l’édition scientifique et technique, l’Allemand Bertelsman propriétaire de France Loisirs, les éditions Atlas du Néerlandais De Agostini, spécialiste de l’édition par fascicules, et le groupe belge Média Participations regroupant des éditeurs pour la jeunesse et la famille.
Pendant que se déroulaient ces grandes manœuvres dans le monde des grandes et moyennes maisons d’édition, celui des petits éditeurs est resté vivace. Toutefois, après une quinzaine d’années où les créations d’entreprises compensent largement les disparitions, depuis la fin des années 1980, le nombre annuel des créations tend à diminuer. Financièrement fragiles, confrontées à des problèmes récurrents de distribution, souvent dépendantes du succès d’un auteur qui sera tenté de les quitter pour une maison plus installée, beaucoup n’ont qu’une durée de vie assez courte ; d’autres doivent leur survie à l’entrée de leur distributeur dans leur capital. Dans le contexte de forte concentration que connaît l’édition française, avec les risques d’uniformisation qu’elle comporte, elles restent cependant un socle indispensable de l’édition française par l’accueil qu’elles réservent à des écritures originales ou à des auteurs en quête d’un véritable dialogue avec leur éditeur.