Lettre autographe signée à Georges Lambrichs
J.-M.G. Le Clézio, 22937.
Dactylographie signée
© Archives Éditions Gallimard
« Monsieur Georges Lambrichs
Directeur de la collection « Le Chemin ».
Éditions Gallimard.
Le 18 octobre 1962
Je viens de terminer le manuscrit d’un roman
que j’aimerais vous soumettre. Je n’ai jamais
été publié jusqu’à présent (je suis âgé de
vingt-deux ans) et l’on m’a conseillé d’adresser
mon ouvrage à la collection dont vous
êtes le directeur. Cependant, avant de vous
envoyer mon manuscrit, j’aimerais savoir si
cette période de l’année est bien indiquée
pour cela. S’il y a trop grande abondance de
manuscrits, ou si vous-même et vos lecteurs
sont débordés de travail en raison de la rentrée
littéraire, peut-être serait-il préférable de
remettre mon envoi à plus tard.
Toutefois, si cela était possible, je préférerais
vous envoyer mon manuscrit dès
maintenant.
Pourriez-vous me dire également dans
quelle mesure la collection « Le Chemin »
serait appropriée à mon cas, celui d’un jeune
auteur n’ayant encore jamais rien publié.
Certains m’ont affirmé que cette collection
était exclusivement réservée au « Nouveau
Roman » ; mais est-ce à dire aux seuls élèves
de la théorie du « Nouveau Roman » dont
M. Robbe-Grillet est le Maître, ou le terme
« Nouveau Roman » est-il pris ici dans un sens
un peu plus large, moins théorique ?
Je vous serais très reconnaissant si vous
vouliez bien me donner ces quelques renseignements,
et me préciser la marche à suivre
pour l’envoi de mon manuscrit.
Veuillez agréer, Monsieur, mes remerciements
anticipés ainsi que mes sincères
salutations, »
JMG Le Clézio
M. JMG Le Clézio
11, place Île-de-Beauté,
Nice – Alpes-Maritimes.
Cette lettre du jeune auteur niçois du Procès-verbal est fameuse ; et
non moins, la réponse, par retour de courrier, de Georges Lambrichs,
directeur de la collection « Le Chemin », entré chez Gallimard en 1957
après avoir été directeur littéraire des Éditions de Minuit et éditeur
chez Grasset : « Je lirai volontiers et tout de suite votre roman. Quant
à la collection “Le Chemin”, je pense que l’autonomie de chaque titre
publié rejette l’idée, à mes yeux, d’une chasse gardée tant pour les
maîtres que pour les pions. » Un modèle du genre, si l’on s’en tient
à l’éclectisme affiché à toute époque par la NRF, échappant à toute
raideur théorique.Cette lettre du jeune auteur niçois du Procès-verbal est fameuse ; et
non moins, la réponse, par retour de courrier, de Georges Lambrichs,
directeur de la collection « Le Chemin », entré chez Gallimard en 1957
après avoir été directeur littéraire des Éditions de Minuit et éditeur
chez Grasset : « Je lirai volontiers et tout de suite votre roman. Quant
à la collection “Le Chemin”, je pense que l’autonomie de chaque titre
publié rejette l’idée, à mes yeux, d’une chasse gardée tant pour les
maîtres que pour les pions. » Un modèle du genre, si l’on s’en tient
à l’éclectisme affiché à toute époque par la NRF, échappant à toute
raideur théorique.
Le 29 décembre 1962, Claude Gallimard adresse à J.-M.G. Le Clézio
son contrat pour un manuscrit dont le titre est alors Procès-verbal
d’un terrible événement. On demande du reste à l’auteur de réfléchir
à d’autres titres ; celui-ci propose de ne garder que Le Procès-verbal
ou, à défaut, d’opter pour Le Tâtonneur, Le Deuil, Splendeur multiple,
Dernier jour avant la mer, Le Jésus-Baigneur, Lumière d’ailleurs, La Dessiccation,
Artériosclérose, La Déflagration ou Au-dessous du soleil-lune.
L’ouvrage reçoit le prix Renaudot en 1963 ; ses ventes dépassent les
100 000 exemplaires dans l’année de sa parution. C’est un beau succès
pour la collection de Georges Lambrichs, qui sera longtemps le principal
interlocuteur de l’écrivain, le guidant vers les oeuvres du maître
Paulhan et lui recommandant de la prudence lorsque Tel quel, par
la voie de Philippe Sollers, sollicite de sa part quelque contribution.
C’est toutefois Claude Gallimard qui conseillera en 1967 à l’auteur la
lecture des oeuvres de Réjean Ducharme, Le Nez qui voque et L’Avalée
des avalés : « Je ne suis pas un vrai connaisseur de littérature, vous le
savez, (je veux dire que je cherche toujours quelqu’un, un visage, une
vie, à travers un livre) mais je pense que Réjean Ducharme a vraiment
quelque chose d’important à dire, quelque chose qu’il cache par tous
ces calembours, pirouettes, jongleries verbales, et cette timidité me
plaît. […] J’ai eu l’impression d’une promenade perpétuelle sur cette
ligne étroite qui sépare ce qui est littérature de ce qui ne l’est plus.
Mais c’est précisément cela qui m’intéresse le plus, parce que c’est le
cas de tous les livres que j’aime vraiment, de Lautréamont, de Jarry,
de Lewis Carroll. »
La correspondance de l’écrivain avec son éditeur suit ses pérégrinations
à travers le monde : Thaïlande, en coopération, puis Mexique,
à plusieurs reprises, « pour vivre quelque temps avec les Indiens Huicholes,
qui sont des gens qui ont une vérité »… Chercher une vérité,
comme d’autres écrivains l’ont fait avant lui, de par le monde comme
au travers des grands textes sacrés… comme ces Prophéties de Chilam
Balam, grand livre des Mayas, à l’établissement desquelles il travaille
en 1975, et dont il partagera la curiosité avec Jean Grosjean.