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Aristote,
Chrétien de Troyes, Gaston
Phébus, Buffon, Jean
Giono, Ionel Pop |
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Aristote,
Histoire
des animaux |
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Chrétien
de Troyes, Érec et Énide Au jour de Pâques,
au temps nouveau, le roi Arthur tint sa cour en son château de Caradigan.
Jamais on n'avait vu si riche cour avec tant de bons chevaliers, hardis,
courageux et fiers, tant de nobles dames et demoiselles filles de rois.
Avant de donner congé à l'assemblée, le roi annonça qu'il voulait chasser
le Blanc Cerf pour faire revivre la coutume. Cela ne plut guère à monseigneur
Gauvain. Dès qu'il entendit les paroles du roi : "Sire, dit-il, de cette
chasse nul ne vous sera gré ni grâce. Nous savons tous que celui qui occit
le Blanc Cerf a droit de donner un baiser à la plus belle des jeunes filles
de votre cour. Respecter un tel usage peut être l'occasion d'un grand
trouble, car il est bien ici cinq cent demoiselles de haut parage, toutes
filles de rois belles et sages. Chacune a pour ami un chevalier. Il prétendra
- à tort ou à droit - que son amie est la plus belle et la plus gente.
- Je le sais bien, répondit le roi, mais je ne changerai rien à ce que
j'ai dit. Parole de roi ne doit être contredite. Demain matin nous partirons
tous chasser le Blanc Cerf dans la forêt aventureuse. Cette chasse sera
merveilleuse." Le lendemain, dès l'aube, le roi se lève. Pour aller en
forêt il se vêt d'une courte cotte. Il fait éveiller les chevaliers, apprêter
les chevaux de chasse. On prend les armes et les flèches. On s'éloigne
vers la forêt. |
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Gaston
Phébus,
Le
Livre de chasse Le
cerf est assez commune bête, aussi n'est il pas nécessaire de dire comment
il est fait, car il y a peu de gens qui n'en aient vu. Ce sont bêtes légères
et fortes et merveilleusement avisées. Ils vont en leur amour, qu'on appelle
le rut, vers la Sainte-Croix de septembre, et ils sont en leur grande
chaleur un mois tout entier, et avant d'en être complètement retraits,
près de deux mois. Ils sont alors farouches et courent sus à l'homme,
comme ferait un sanglier qui serait bien échauffé. Et ce sont de dangereuses
bêtes, car c'est à grand-peine qu'un homme guérira, s'il est bien blessé
par un cerf. Et pour cela dit-on : "Après le sanglier le médecin, et après
le cerf la bière." Car il frappe très fort, comme un coup de bâton, tant
il a grande force en la tête et au corps. Ils se tuent, blessent et combattent
l'un l'autre, quand ils sont en rut, c'est-à-dire en leur amour, et ils
chantent en leur langage, ainsi que fait un homme bien amoureux. Ils tuent
chiens, chevaux et hommes à ce moment-là, et se font aboyer comme un sanglier,
surtout s'ils sont las ; encore au partir de son lit en ai-je vu qui blessait
le valet qui faisait la poursuite, tuait le limier et, en outre, un coursier.
Et encore, quand ils sont en rut, c'est-à-dire en leur amour, dans une
forêt où il y a trop peu de biches et quantité de cerfs, ils se tuent,
se blessent et se combattent, car chacun veut être le maître des biches,
et volontiers le plus grand cerf et le plus fort tient le rut et en est
maître. Et quand il est bien déprimé et las, les autres cerfs à qui il
a enlevé le rut lui courent sus et le tuent ; et ceci est vérité. Et on
peut bien le prouver aux parcs, car il ne sera jamais saison que toujours
le plus grand cerf ne soit tué par tous les autres, non pas tant quand
il est en rut, mais quand il en est retrait et déprimé et maigre. Dans
les forêts, cela ne se produit pas si souvent, car ils vont au large là
où il leur plaît. Et de plus, il y a rut en divers lieux de la forêt et
le cerf ne peut être en paix en nul lieu, sauf pendant le part. Après,
quand ils sont retraits des biches, ils se mettent en harde et en compagnie
avec le harpail et demeurent dans les landes et les bruyères plus souvent
qu'au bois, pour avoir la chaleur du soleil. Ils sont pauvres et maigres
à cause de la fatigue qu'ils ont eue avec les biches, à cause aussi de
l'hiver et du peu d'aliments qu'ils trouvent. Après, ils laissent le harpail
et se réunissent à deux, trois ou quatre cerfs jusqu'au mois de mars où
ils ont accoutumé de mettre bas leurs têtes ; les vieux cerfs le font
plus tôt, d'autres plus tard, selon qu'ils sont jeunes ou ont eu mauvais
hiver, ou ont été chassés, ou sont malades : alors ils muent leurs têtes
et se réparent plus tard. Et quand ils ont mis bas leurs têtes, ils se
gîtent dans les buissons au plus profond qu'ils peuvent, pour refaire
leurs têtes et leur graisse, en un pays fertile en blé, pommes, vignes,
regains, bois, pois, fèves et autres fruits et herbes dont ils vivent.
Et parfois un grand cerf a bien un autre compagnon avec lui que l'on appelle
son écuyer, quand il lui appartient et fait ses volontés. Et si on ne
leur cause pas d'ennui, ils demeurent là toute la saison jusqu'à la fin
d'août. Et alors ils commencent à muser, à penser et à s'échauffer, à
errer et s'écarter du lieu où ils auront demeuré toute la saison, pour
aller quérir les biches. Ils refont leurs têtes et les voilà couronnées
de ce qu'elles porteront toute l'année, depuis le mois de mars où ils
jettent leurs têtes, jusqu'à la moitié du mois de juin ; et alors ils
sont pourvus de tout leur nouveau poil et leur tête est molle et couverte
de peau et de poil au commencement ; et sous cette peau elle se fortifie
et s'aiguise. Et ils vont frayer aux arbres pour ôter cette peau, aux
environs de la Madeleine, grâce à quoi leur tête demeure dure et forte.
Ils les vont brunir et aiguiser aux charbonnières que les gens font dans
les forêts, quelquefois aux lieux où l'on racle le millet, quelquefois
aux fondrières que l'on appelle en France croulières et bitumières, quelquefois
aux marnières, d'où sort la terre appelée marne. Ils ont la moitié à peu
près de leur greffe à la mi-juin, selon l'époque où leur tête fut couronnée,
et leur plus grande greffe est partout en août. |
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Voici l'un de ces
animaux innocents, doux et tranquilles, qui ne semblent être faits que
pour embellir, animer la solitude des forêts, et occuper loin de nous
les retraites paisibles de ces jardins de la nature. Sa forme élégante
et légère, sa taille aussi svelte que bien prise, ses membres flexibles
et nerveux, sa tête parée plutôt qu'armée d'un bois vivant, et qui, comme
la cime des arbres, tous les ans se renouvelle, sa grandeur, sa légèreté,
sa force, le distinguent assez des autres habitants des bois. |
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Buffon,
Histoire
naturelle Lorsque
le veneur, dans les sécheresses de l'été, ne peut juger par le pied, il
est obliger de suivre le contre-pied de la bête, pour tâcher de trouver
les fumées et de le reconnoître par cet indice, qui demande autant et
peut-être plus d'habitude que la connoissance du pied ; sans cela, il
ne lui seroit pas possible de faire un rapport juste à l'assemblée des
chasseurs. Et lorsque sur ce rapport l'on aura conduit les chiens à ses
brisées, il doit encore savoir animer son limier, et le faire appuyer
sur le voies, jusqu'à ce que le cerf soit lancé ; dans cet instant, celui
qui laisse courre, sonne pour faire décupler les chiens ; et dès qu'ils
le sont, il doit les appuyer de la voix et de la trompe. Il doit aussi
être connoisseur, et bien remarquer le pied de son cerf, afin de le reconnoître
dans le change, ou dans le cas qu'il soit accompagné. Il arrive souvent
alors que les chiens se séparent, et font deux chasses : les piqueurs
doivent se séparer aussi, et rompre les chiens, qui se sont fourvoyés,
pour les ramener et les rallier à ceux qui chassent le cerf de la meute.
Le piqueur doit bien accompagner ses chiens, toujours piquer à côté d'eux,
toujours les animer sans trop les presser, les aider sur le change, sur
un retour, et pour ne se pas méprendre, tâcher de revoir du cerf aussi
souvent qu'il est possible ; car il ne manque jamais de faire des ruses
; il passe et repasse souvent deux ou trois fois sur sa voie ; il cherche
à se faire accompagner d'autres bêtes pour donner le change, et alors
il perce et s'éloigne tout de suite, ou bien il se jette à l'écart, se
cache, et reste sur le ventre. Dans ce cas, lorsqu'on est en défaut, on
prend les devants, on retourne sur les derrières ; les piqueurs et les
chiens travaillent de concert. Si l'on ne retrouve pas la voie du cerf,
on juge qu'il est resté dans l'enceinte dont on vient de faire de le tour
; on la foule de nouveau ; et lorsque le cerf ne s'y trouve pas, il ne
reste d'autre moyen que d'imaginer la refuite qu'il peut avoir faite,
vu le pays où l'on est, et d'aller l'y chercher. Dès que l'on sera retombé
sur les voies et que les chiens auront relevé le défaut, ils chasseront
avec plus d'avantage, parce qu'ils sentent bien que le cerf est déjà fatigué,
leur ardeur augmente à mesure qu'il s'affloiblit, et leur sentiment est
d'autant plus distinct et plus vif, que le cerf est plus échauffé ; aussi
redoublent-ils et de jambes et de voix ; et quoiqu'il fasse alors plus
de ruses que jamais, comme il ne peut plus courir aussi vite, ni par conséquent
s'éloigner beaucoup des chiens, ses ruses et ses détours sont inutiles
; il n'a d'autre ressource que de fuir la terre qui le trahit, et de se
jeter à l'eau pour dérober son sentiment aux chiens. Les piqueurs traversent
ses eaux, ou bien ils tournent autour, et remettent ensuite les chiens
sur la voie du cerf, qui ne peut aller loin dès qu'il a battu l'eau, et
qui bientôt est aux abois, où il tâche encore de défendre sa vie, et blesse
souvent de coups d'andouillers les chiens et même les chevaux des chasseurs
trop ardents, jusqu'à ce que l'un d'entre eux lui coupe le jarret pour
le faire tomber, et l'achève ensuite en lui donnant un coup de couteau
au défaut de l'épaule. |
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Jean
Giono, Que
ma joie demeure Un peu plus loin
le cerf trouva une route de loutre. elles avaient passé là à deux. elles
se dirigeaient vers le nord, du côté d'où venait l'odeur de roseaux, de
boue et de moutons. Il trouva aussi le piétinement d'un héron et un morceau
d'entrailles et de grenouille. Il entendit chanter des martins-pêcheurs.
Il entendit clapoter un étendue d'eau. Il se tourna le tête pour revoir
la luzernière. Il se souvenait du garçon et des yeux qu'il avait. Des
yeux d'homme, mais paisibles et où il avait vu reflété, lui, le cerf,
avec les branches arides de son front. Le garçon n'était plus là. Il devait
être à la ferme là-bas. Le cerf ne pouvait pas savoir au juste car l'odeur
de cette ferme était une odeur de cheval mâle et prisonnier, l'odeur accumulée
et terrible d'un cheval privé de femelle depuis longtemps. Alors le cerf
dansa pour lui-même. Il était sur une lande nue. Il se sentait triste
en se souvenant du cheval. Il levait les jambes une après l'autre. Il
baissait la tête, il la relevait. Il éternuait. Il était triste. La lande
nue, le printemps, pas de femelles, le cheval, le viel homme, le jeune
homme qui arrosait. Il dansa le vieil homme, il dansa le jeune homme aux
yeux paisibles. Il dansa le cheval malheureux et le cerf malheureux. Il
dansa la lande. Il dansa son désir de printemps. Il dansa la brume et
le ciel. Il dansa toutes les odeurs, et tout ce qu'il voyait, et tout
ce qui était sensible à ses yeux, à ses oreilles, à ses narines et à sa
peau. Il dansa le monde qui était ainsi entré dans lui. Il dansa ce qu'il
aurait dansé s'il avait été joyeux. Et il redevint joyeux. |
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Ionel
Pop, Rencontres
avec les bêtes Mon premier cerf,
je l'ai vu au jardin zoologique. Il m'a paru grand, fort, j'ai admirer
ses bois, à cinq cors, sa tête finement dessinée. J'ai essayé d'effacer
par la beauté de ses formes l'impression de tristesse qui se dégageait
de ce cerf. Il marchait lentement, sans but, tête basse, çà et là, sur
la terre nue et battue de son parc ; il s'arrêtait pour regarder longuement
et sans intérêt les gens derrière le grillage, il cherchait dans la crèche
une brindille de foin, s'approchait quand il semblait que quelqu'un voulait
lui tendre une croûte de pain ; il acceptait entre les barreaux l'aumône
de l'homme, apathiquement. Je me suis longtemps arrêté devant l'enclos,
qui portait l'étiquette : "Cerf noble (Cervus elaphus)." Ensuite j'ai
vu des cerfs dans un vaste parc de chasse. Une harde entière. Lorsque
nous nous sommes approchés, suivant la charrette où le garde leur apportait
des charges de foin, ils sont accourus de toutes parts, nous regardant
de tout près. Nous nous étions à peine éloignés de quelques pas qu'ils
se sont précipité sur les râteliers. Cerfs, biches, faons, pêle-mêle.
J'ai vu quelques porteurs de bois qui ont arrêté mon regard fasciné. Quelle
différence entre ces animaux et le malheureux prisonnier du jardin zoologique
! Pourtant, mon premier cerf je ne l'ai vraiment vu que beaucoup plus
tard. C'est alors seulement que je me suis rendu compte que ces pauvres
cerfs derrière des barreaux ou dans des enclos ne sont que de tristes
épaves, corps et âme. Depuis lors je passe devant l'enclos du jardin zoologique
et près de la porte du parc au cerfs en hâtant le pas et en détournant
les yeux. |
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