|
Algérienne, Marc
Garanger
Jeune femme blonde
adossée à un téléviseur,Jean Rault
|
|
Ceci est
particulièrement vrai pour le portrait, puisquil repose dans sa possibilité même
sur une interaction entre le photographe et le portraituré. Il est vrai que cette
interaction nest pas toujours égalitaire et il arrive que le consentement du
portraituré soit extorqué ; il suffit de penser aux photos ethnographiques du XIXe
siècle ou au portrait judiciaire. Mais lorsque cest le cas, limage, loin de
masquer les relations de pouvoir qui ont permis sa naissance, les exhibe malgré elle, que
ce soit à travers le regard du portraituré (pour sen rendre compte, il suffit de
comparer les portraits dIndiens réalisés vers 1885 par David F. Barry dans une
perspective manifestement "ethniciste", à ceux, plus tardifs et
plus respectueux de lidentité des portraiturés, réalisés par Curtis), à travers
sa posture corporelle, voire à travers lorganisation formelle de limage
(quon pense aux conventions formelles des portraits anthropométriques). Ceci tient
au fait que, dans la fabrique du portrait photographique, on na jamais un seul sujet
humain mais toujours deux : il ny a pas un regard unique mais deux regards qui
séprouvent réciproquement. Il en est ainsi même lorsque le regard du portraituré
sabsente : sauf formalisme ou esthétisme, le corps du portraituré lui aussi
éprouve le regard du photographe, voire le dénonce. Il faut donc compléter ce qui a
été dit plus haut : sil est vrai que le portraituré ne peut atteindre sa
propre identité quen sexposant à la médiation (toujours risquée) du regard
du photographe, celui-ci à son tour sexpose à travers la manière dont il prend
(ou ne prend pas) en charge cette situation de médiation. Pour le dire autrement :
le portrait photographique présuppose toujours un pacte dont lenjeu est la
rencontre et la négociation de deux désirs. Or il ny a aucune raison pour que le
désir duvre du photographe et le désir dimage du portraituré
coïncident : de ce fait, le portrait rencontre toujours sa vérité dans la manière
dont il négocie la tension entre des regards qui se croisent et qui séprouvent
mutuellement.
|
|
Dora Maar, Rogi André |
|
Dans la
mesure où le photographe, plus radicalement que le peintre, doit toujours composer
et ce au sens littéral du terme avec le portraituré, le portrait photographique
ne saurait être quun genre difficile et risqué. Il repose en effet sur un
équilibre instable qui peut à tout moment être rompu : soit le portraituré est
escamoté par le photographe qui cherche à imposer la souveraineté de sa volonté de
puissance par un geste purement formel ou esthétisant ; soit le portraituré se sert
du photographe pour accéder à une image narcissique de lui-même, quitte à se faire
ainsi le faussaire de sa propre vie. Jean-Marie Schaeffer
Extrait du catalogue de lexposition
Portraits, singulier pluriel
Edition Mazan/Bibliothèque nationale de France 1997
|