La Cassaigne. Commune de l’Aude. Altitude 253 m.
Située à 31 km à l’ouest de Carcassonne. 158 habitants.


C’est dans ce village que, depuis un an et demi, un jeune graveur s’est installé. Patiemment, il a remis en état la maison de ses grands-parents, inhabitée depuis une trentaine d’années. Après les lourds travaux de maçonnerie, la décoration avec ses propres cassons de carrelage, enfin, il installe sa presse. Paul Rives se lance alors, en mai 1996, dans un projet aussi méthodique qu’original. Il veut réaliser " Le Portrait du village de La Cassaigne ". Il décide donc de faire le portrait de chacun des habitants du village et de le réaliser sur un support unique. Avec une rigueur quasi mathématique, il va chercher à appréhender un idéal. En effet, la superposition des figures, la somme presque algébrique des visages doit dégager à la toute fin non seulement l’archétype du " Cassaignois " mais l’âme même du village.

La matrice est une plaque de cuivre de 32,5 cm sur 32,5 cm, dimensions qui lui permettent de faire des portraits grandeur nature. Chaque jour, il va rencontrer un habitant et, avec son accord, graver ses traits. Au final, 160 personnes auront contribué à son projet. Le facteur du village est la première personne qu’il va dessiner. Le lendemain, c’est le visage de l’ancienne institutrice qui va se superposer. Et ainsi de suite… Chaque jour, Paul Rives vernit sa plaque et dessine un nouveau visage. Chaque jour, la plaque est attaquée par l’acide puis imprimée en deux exemplaires.

Le travail de Paul Rives est, on le voit, intimement lié à celui du temps et de la mémoire. La démarche impose un rythme propre, quotidien et, finalement, assez lent. Par ailleurs, pour dessiner successivement différents visages sur une même plaque, le graveur doit faire l’effort de devenir amnésique. Effort qui, au fil du temps, devient de plus en plus difficile. Il faut chaque jour oublier le ou les visages précédents, ne pas céder à la tentation de repasser l’outil dans les premières morsures, ceci afin d’approcher au plus près l’archétype imaginaire à travers chaque visage particulier. Puis, au moment de l’impression, c’est au contraire la mémoire de tous les états antérieurs, c’est-à-dire de tous les visages, qui d’un coup resurgit (on voit que Paul Rives exalte, de façon originale, une des grandes propriétés de la gravure). Les traits sur lesquels la main du graveur est souvent passée s’imposent mais les traits marginaux, les signes particuliers apparaissent également. Ce souci de ne perdre aucun détail, Paul Rives le manifeste également en tenant, parallèlement à ses travaux de gravure, un journal de bord, sorte de chronique où il note ses réflexions personnelles, les difficultés rencontrées… Les 160 états successifs qui composent Le Portrait du village de La Cassaigne ont été exposés au mois de septembre à La Cassaigne.
   
Par ailleurs, Paul Rives a récemment déposé au département des Estampes et de la Photographie un ensemble de 25 gravures. Ces gravures plus anciennes – elles datent de 1995 – manifestent déjà des préoccupations qui apparaîtront dans Le Portrait du village… La démarche qui guide ce travail est d’ailleurs sensiblement la même. A l’origine, il y a la rencontre avec Anne Reby, qui est elle-même graveur. Pendant vingt-cinq jours, Paul Rives va dessiner le visage de cette femme sur une plaque de cuivre et chaque jour, il va imprimer un état. Là encore, Paul Rives s’applique à respecter une chronologie minutieuse. Cependant, dans le cas présent, le modèle est toujours identique. Même si la représentation évolue, même si, suivant les jours, certaines caractéristiques sont plus ou moins soulignées, la main du graveur passe et repasse sur les mêmes traits. La plaque est donc fortement attaquée. Elle l’est d’autant plus que Paul Rives lui fait subir des immersions de plus en plus longues. Le premier bain dure cinq minutes, le vingt-cinquième quelques vingt-cinq minutes ! Autant dire que la plaque est très mordue, et même à la fin trouée. Les traits sont parfois tellement profonds, qu’ils ne sont plus capables de retenir l’encre. Finalement, les traits du visage apparaissent en négatif, le résultat est un portrait halluciné, tendu, où l’on devine le point de rupture. C’est cette dégénérescence de la matière qui semble intéresser P. Rives.

Marie-Hélène Gatto