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il est, à coup sûr, peu de plus belles pages architecturales
que cette façade où, successivement et à la fois,
les trois portails creusés en ogive, le cordon brodé et
dentelé des vingt-huit niches royales, l'immense rosace centrale
flanquée de ses deux fenêtres latérales comme le
prêtre du diacre et du sous-diacre, la haute et frêle galerie
d'arcades à trèfle qui porte une lourde plate-forme sur
ses fines colonnettes, enfin les deux noires et massives tours avec leurs
auvents d'ardoise, parties harmonieuses d'un tout magnifique, superposées
en cinq étages gigantesques, se développent à l'œil,
en foule et sans trouble, avec leurs innombrables détails de statuaire,
de sculpture, et de ciselure, ralliés puissamment à la
tranquille grandeur de l'ensemble ; vaste symphonie en pierre, pour ainsi
dire ; œuvre colossale d'un homme et d'un peuple, tout ensemble
une et complexe comme les Iliades et les romanceros dont elle est sœur
; produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d'une époque,
où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la
fantaisie de l'ouvrier disciplinée par le génie de l'artiste
; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde
comme la création divine dont elle semble avoir dérobé
le double caractère : variété, éternité.
Et ce que nous disons ici de la façade, il faut le dire de l'église
entière ; et ce que nous disons de l'église cathédrale
de Paris, il faut le dire de toutes les églises de la chrétienté
au Moyen Âge. Tout se tient dans cet art venu de lui-même,
logique et bien proportionné. Mesurer l'orteil du pied, c'est
mesurer le géant.
Victor Hugo, Notre-Dame
de Paris, Paris, 1831, Edition Nationale, J. Lemonnyer, G. Richard
[E. Testard], 1889, Livre III, chapitre 1.
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