La représentation de la terre habitée Autour de l'arche, supposée représenter
l'Église, Hugues trace un ovale, un cercle "oblong", qui n'est
autre que la circonférence de la Terre, à l'intérieur
duquel il organise la représentation de la terre habitée.
Une image orientée vers l'est, selon la disposition la plus courante
des mappemondes médiévales, avec, à l'extrémité
orientale, le Paradis "en quelque sorte le sein d'Abraham", à "l'autre
sommet, celui qui pointe à l'occident", le Jugement dernier ;
et "sur son côté septentrional, l'Enfer, où seront
précipités, avec les apostats, ceux qui ont à subir
la damnation". |
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Un espace hiérarchisé À l'intérieur de cette terre étroitement
imbriquée à l'arche qui la traverse, le Paradis et l'Enfer :
le Paradis "en haut", l'Enfer ainsi nommé parce qu'il est situé
"en bas", dans la partie inférieure du monde, lieu des tourments,
comme le Ciel est le lieu des joies : "c'est à juste titre
que le lieu des tourments est en bas, et le lieu des joies en haut, car
la faute pèse vers le bas, tandis que la justice soulève
vers le haut", explique Hugues. À cette disposition hiérarchique
de l'espace s'en ajoute une autre, cardinale cette fois. De même
que le Paradis est à l'orient du côté du soleil levant,
l'Enfer est à l'aquilon, là où règne un froid
éternel. Mémoire de ce Pterophoron que Solin localisait
au-delà des monts Riphées : |
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Les principaux repères de l'espace Entre l'Enfer et le Paradis, entre la chaleur de l'amour
et le froid de l'orgueil : "les lieux, les montagnes, les fleuves,
les châteaux, les places fortes ; l'Égypte au sud, Babylone
au nord". Comme sur ces mappemondes qui se présentent sous la forme
expurgée d'un cercle divisé en trois parties, portant les
seules mentions : Asia, Europa, Africa, comme si tout était
dit et récapitulé en ces trois termes, Hugues se contente
d'énumérer ce qui apparaît comme les principaux repères
de l'espace. |
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Basilic et aspic |
Les lieux Les lieux, loca, terme moins vague qu'il n'y paraît, expriment l'une de ces divisions entre lesquelles il revient à la géométrie de répartir la Terre, séparant : "l'orbe en parties, les parties en provinces, les provinces en régions, les régions en lieux, les lieux en territoires, les territoires en champs, les champs en centuries, les centuries en jugères", souvenir de la science romaine des arpenteurs. Ce terme sert aussi à désigner l'inexprimable. Tout ce qui est au-delà ou en deçà du discours : de la douceur paradisiaque à l'horreur des lieux infestés de "dragons, de serpents et de bêtes féroces" qui, sur la mappemonde de Lambert de Saint-Omer ou sur celle d'Ebstorf, prennent en écharpe la partie méridionale du monde habité. Sans qu'il n'y ait jamais, dans ces loca, rien d'abstrait ni d'indéterminé, mais au contraire la conscience forte d'un lieu bien réel, théâtre d'un événement notable qu'il convient de préciser pour lui conférer l'ampleur de sa signification. Ainsi le Golgotha est bien le locus calvarie. |
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Les montagnes et les fleuves |
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Villes et châteaux Alors que les fleuves et les montagnes jouent bien souvent sur les mappemondes le rôle de frontières, bornent et séparent, les villes et les châteaux réunissent. Hugues vit le temps de l'essor urbain, de l' "encastellement", et si le vocabulaire hésite encore au XIIe entre burgus, castrum et civitas, pour désigner les cités nouvelles, le signe, en revanche, hérité des itinéraires romains, ne s'y trompe pas qui ponctue les mappemondes de vignettes ornées de tours crénelées en guise de forteresses, symboles du pouvoir et de la prépondérance urbaine. Cet espace, dans lequel sont posées les structures fondamentales nécessaires à la répartition et à l'organisation des hommes, Hugues l'ordonne autour de trois pôles : Babylone au nord, l'Égypte au sud, Jérusalem au centre. D'un côté, la terre de l'exil, la cité de perdition, la tour de l'orgueil fondée par Nemrod le géant, là où naquit l'idolâtrie : Les hommes à l'origine n'honoraient qu'un seul Dieu, l'idolâtrie naquit à Babel, la tour des géants... c'est là que régna le premier roi Nemrod, et plus tard Ninus qui obligea ses sujets à adorer une image de son père Belus. D'autres l'imitèrent en faveur de parents ou de rois puissants... c'est là que débuta l'idolâtrie et que l'Antéchrist doit naître. De l'autre l'Égypte, mère des arts, qui passent ensuite en Grèce puis en Italie, là où fut inventée la géométrie que Moïse apprit des Égyptiens. L'Égypte représente la loi naturelle, étape nécessaire avant le passage au désert, et l'accès à la grâce. Au centre, Jérusalem, l'ombilic de la terre, qui dans ces années 1120-1130, à la faveur du grand élan de croisade, est en passe d'occuper le point central des mappemondes. |
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L'air et les vents La description de la terre ainsi achevée, négligeant de parler du grand océan circulaire qui l'entoure, Hugues trace un autre cercle autour du précédent "un peu plus étendu qui fait comme une ceinture... l'espace ainsi délimité, c'est l'air, aer, "aussi indispensable à la nature humaine que la terre" où il se propose de représenter les saisons et les vents, c'est-à-dire tout ce qui détermine le temps quotidien et saisonnier, soit l'harmonieuse croissance de la végétation et l'épanouissement des hommes. Jouant sur les harmonies numériques, en particulier sur le chiffre 4 qui, parce qu'il est divisible, représente tout ce qui est corporel, Hugues associe les quatre saisons aux quatre points cardinaux, aux quatre qualités fondamentales, fonctionnant deux à deux, aux quatre âges de la vie, aux sens... les harmonies numériques sont à la base de la musique de l'univers, celle des éléments, des planètes, des saisons, musique qui tient dans l'alternance des jours et des nuits, dans la croissance et la décroissance de la lune et dans la succession du printemps, de l'été, de l'automne, de l'hiver qui rythme le cours de l'année. |
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Quant aux quatre vents cardinaux, auxquels sont associés deux collatéraux,
figures ailées disposées dans l'ordre proposé par Isidore
de Séville dans le De natura rerum et munies de trompes
doubles ou simples selon leur importance, ils procurent à la terre
le souffle, nécessaire à la vie. Avec en toile de fond de ces représentations, un certain nombre de postulats alors courants : - qu'il n'est d'équilibre que dans la zone tempérée, la nôtre, où alternent régulièrement les saisons, où les vents soufflent tour à tour, loin du froid et de la chaleur pérenne ; - que l'harmonieux développement de la Terre et des hommes est intimement lié aux cieux qui les entourent ; - qu'enfin, le même rythme quaternaire régit le monde et l'homme : "tous deux vont vers leur fin avec l'écoulement du temps et des âges de la vie, tous deux croissent et décroissent" ; et comme l'homme est établi dans la communio de la constitution du monde, comme lui il a besoin d'harmonie. |
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Éther, mois et saisons Enfin, au-delà de ces cercles, Hugues en trace
un troisième enfermant les deux précédents, qui délimite
la zone de l'éther le plus souvent considérée au
XIIe siècle comme la région du
feu. Il y dispose les douze mois selon l'ordre des saisons, et les douze
signes du zodiaque de ce grand cercle étoilé, chemin obligé
des astres errants ; soumettant ainsi le temps quotidien incertain,
tributaire de l'agitation de l'air, au temps astronomique, réglé
sur la révolution des planètes. Comme ses contemporains,
Hugues tout en s'efforçant de faire le départ entre l'astronomie,
"loi" qui règle le cours des astres et la disposition des cieux,
et le discours astrologique qui peut être "naturel mais devient
superstitieux quand il traite de l'avenir et du destin", Hugues est fasciné
par ce ciel étoilé par lequel il achève la représentation
de la grande "machine" de l'univers, à la fois savante et belle. |
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Une représentation totale du monde Hugues de Saint-Victor propose ainsi une représentation totale du monde englobant l'espace et le temps, d'un monde ordonné, hiérarchisé, d'un cosmos, où la sphère inférieure de l'espace sublunaire temporel est régie par les lois du monde supérieur qu'il appelle la "Nature" ou le "Temps" ; d'un monde où s'opposent les accords harmoniques et immuables des sphères "élyséennes" et l'instabilité et la confusion des régions inférieures ou "Enfer". Avec au-dessus, au-delà du sensible, une grande "Figure en majesté" voilée par les ailes de deux séraphins, dominant et résolvant l'épars et le divers "en une véritable et suprême unité". |