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Notes de chevet

Sei Shônagon (XIe siècle)
Ecrits au début de l'an 1000 par une dame d’honneur de la cour impériale du Japon, les 162 rouleaux des Notes de chevet de Sei Shônagon sont un classique de la littérature universelle. Ils n’ont cessé d’engendrer, dans toutes les autres cultures, des inventaires et accumulations qui sont comme le visage d’une époque.
   

Choses qui font battre le cœur
Des moineaux qui nourrissent leurs petits.
Passer devant un endroit où l’on fait jouer de petits enfants.
Se coucher seule dans une chambre délicieusement parfumée.
S’apercevoir que son miroir de Chine est un peu terni.
Se laver les cheveux, faire sa toilette, et mettre des habits tout embaumés de parfum. Même quand personne ne vous voit, on se sent heureuse du fond du cœur.
Une nuit où l’on attend quelqu’un. Tout à coup, on est surpris par le bruit de l’averse que le vent jette contre la maison.

Choses qui font naître un doux souvenir du passé
Les roses trémières desséchées.
Les objets qui servirent à la fête des poupées.
Un jour de pluie, où l’on s’ennuie, on retrouve les lettres d’un homme jadis aimé.
Une nuit où la lune est claire.

Choses qui remplissent d’angoisse
Regarder les courses de chevaux.
Tordre un cordon de papier, pour attacher ses cheveux.
Avoir des parents ou des amis malades, et les trouver changés. À plus forte raison, quand règne une épidémie, on en a une telle inquiétude qu’on ne pense à rien d’autre.
Ou bien un petit enfant qui ne parle pas encore se met à pleurer, ne boit pas son lait, et crie très longtemps, sans s’arrêter, même quand la nourrice le prend dans ses bras.
Quand une personne que l’on déteste s’approche de vous, on ressent, de même, un trouble indicible.

Choses qui ne servent plus à rien, mais qui rappellent le passé
Une natte à fleurs, vieille, et dont les bords usés sont en lambeaux.
Un paravent dont le papier, orné d’une peinture chinoise, est abîmé.
Un pin desséché, auquel s’accroche la glycine.
Une jupe d’apparat blanche, dont les dessins imprimés, bleu foncé, ont changé de couleur.
Un peintre dont la vue s’obscurcit.
Dans le jardin d’une jolie maison, un incendie a brûlé les arbres. L’étang avait d’abord gardé son aspect primitif ; mais il a été envahi par les lentilles d’eau, les herbes aquatiques.

Extraits de : Sei Shônagon, Notes de chevet,
traduit du japonais par André Beaujard,
Gallimard, « Connaissance de l’Orient », 1966.