anthologie
ecrire la ville

Le livre des ciels

Leslie Kaplan
Le Livre des ciels est une suite de saisies extrêmement précises de lieux chacun comme une bulle d’un monde clos, ne tirant sa légitimité que de lui-même. La notion partageable d’une présence.
 
Leslie Kaplan est née à New-York, en 1943, elle a été élevée à Paris où elle vit. Ses œuvres ont été publiées en 10 langues. Depuis plusieurs années elle anime des ateliers de lecture-écriture dans des collèges, lycées, bibliothèques de banlieue, ainsi qu’à l’Université.

Au loin, un restaurant, avec des femmes dessinées, des inscriptions sexuelles. Une musique sort, sans paroles.

Présence du bois, palissades. Des cours aussi, enchevêtrées.
Au fond ce sont les escaliers, les voitures d’enfants.

Je passe devant le magasin de nourriture exotique.
Des hommes vont et viennent dans le cadre blanc.
Le magasin est plein de bananes vertes, de réservoirs.

*

Il y a une musique dans l’air, sans mélodie. Je me rappelle la gare centrale, je passe souvent devant.

Au milieu de la ville, une grande place ronde. Les gens s’assoient et boivent, prudents, dispersés.

*
La grande horloge, les tramways .
Je me promène dans les rues.

Il y a du rouge, du vert, du marron. C’est ressemblant, sans profondeur.

Vieille ville de province, enfantine. Je monte sur les remparts, je me penche, je regarde.

Le ciel est neutre, en étages.

*

Dans la ville le ciel est courbe, éloigné.
En un sens, la ville est un bloc.

Temps simple. Je suis dehors.

L’air est bleu et rapide, trop calme, et je dors mal, dans des chambres.

C’est une vieille ville française, disponible.
Partout des nuages lourds, des escaliers.

*

C’est une scène, sur une colline.

Autour, le ciel étale. Comme le monde est rond, petite fille.

On est en haut, très loin. On marche sur une petite place, dans un village jaune, démuni.

Façades de pierres friables. On marche sur une surface plane.
La colline ondule.

Le ciel est nu, bien ouvert.

*

Je vais plus loin, dans une grande ville du centre, au milieu des collines. Ciel beau, moderne. Les raffineries sont là.

Autour des raffineries, le ciel est violent.
Il n’y a pas de femmes, il n’y a pas de rues.

Route large, mauvaise, et le ciel brillant.
Je circule en voiture avec des amis. C’est l’ignorance.

*

Ciel vague et rayé, paille de fer. Je regarde la matière éparpillée. Le ciel bouge un peu.

Je passe des indications, des feux électriques.
Rouge, vert, orange. Gros pylônes, ciment raidi.
Le ciel tourne sur lui-même, dénudé. Quelques lambeaux.

Chaque chose vit dans sa propre lumière.
 

Extrait de : Leslie Kaplan, Le Livre des ciels
POL, 1984.