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Le regard des médecins |
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Pour les médecins, le ftus est un enfant
à part entière. Il mérite ce nom dès lors
qu'il prend forme humaine, comme l'affirme Constantin l'Africain au XIe
siècle, et qu'il a reçu le don de l'âme, par infusion.
Pour Barthélemy l'Anglais, encyclopédiste du XIIIe
siècle, l'animation du corps se produit au 46e jour
de grossesse, sans considération de sexe, alors que pour Aristote,
suivi en cela par l'Église médiévale, elle s'effectue
quarante jours après la conception pour les garçons et quatre-vingt-dix
jours après pour les filles. Ensuite, le ftus n'est pas indifférencié :
les médecins médiévaux, s'inspirant des traités
hippocratiques, ont appris à s'intéresser successivement
au "ftus de sept mois" ou au "ftus de huit
mois".
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Le regard des juristes |
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Pour les juristes, le ftus n'a droit au nom d'"enfant"
qu'après la naissance. Avant, il est appelé "fruit"
ou "ventre enceint" de la mère. Mais c'est une "personne"
à laquelle on reconnaît certaines capacités ;
les clercs d'Église ou de justice en veulent pour preuve un passage
de l'Évangile de Luc où il est dit que Jean-Baptiste tressaille
dans le ventre d'Élisabeth au moment où celle-ci croise
Marie enceinte de Jésus. Le ftus a une conscience éveillée,
il a donc des droits. En particulier, et contrairement à aujourd'hui,
il est considéré comme un héritier à part
entière : un père peut doter sa fille à naître
ou réserver une part d'héritage pour son fils en gestation,
en vertu de l'adage juridique selon lequel "celui qui est encore
à naître ne doit pas être lésé".
Le ftus reçoit son statut d'homme libre ou de serf in
utero. Par conséquent, il peut être frappé de
taxes sur sa personne : aux péages, où les juifs sont
soumis à une taxe corporelle sur leurs déplacements, un
ftus peut être imposé à un peu plus de la moitié
du coût d'un adulte mâle, comme on le voit au péage
de Châlons, à la fin du XIVe siècle.
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Le premier cri |
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Toujours pour les juristes, le nouveau-né n'acquiert
pas son statut d'enfant au moment précis où il naît,
mais quelques secondes plus tard, quand il pousse son premier cri. Ce
cri est considéré comme un acte juridique : le bébé
réserve ainsi son héritage paternel, s'il est orphelin de
père, et, s'il meurt avant sa mère, celle-ci pourra en hériter ;
à son tour, il transmet l'héritage à sa mère
en mourant. Grâce au premier cri de l'enfant, le père pourra
conserver la dot de son épouse morte en couches au lieu de la restituer
aux parents de cette dernière, comme le veut la coutume. Faire
crier l'enfant à la naissance est donc une absolue nécessité
pour bien des familles.
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La petite enfance
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L'âge de la parole |
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L'âge de 3 ans est considéré
comme le début de la lente transformation de l'enfant en adulte ;
c'est l'âge de la parole, de la maîtrise de la marche et de
la course, de l'habileté manuelle. Les cas exemplaires ne manquent
pas : c'est à 3 ans, est-il dit, que la Vierge Marie entra
au Temple pour y recevoir sa première instruction, et c'est dès
cet âge que l'Enfant Jésus manifesta l'"esprit de science".
Un texte moralisateur et didactique (destiné à connaître
un vif succès jusqu'au XIXe siècle)
s'intitule : De l'enfant sage qui n'avoit que trois ans.
De même, les héros de romans médiévaux sont savants
dès 3 ans ; c'est le cas du petit Lancelot, doté
d'un précepteur à cet âge. Les aristocrates, qui apprécient
les enfants précoces, se conforment à ce modèle. 3 ans
est justement l'âge auquel on fait fabriquer un livre d'heures pour
un petit dauphin de la fin du XVe siècle,
Charles Orland. Les conceptions religieuses et romanesques concordent et
influencent directement la vie des enfants. |
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L'âge du jeu |
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L'âge de 5 ans, qui revient constamment
sous la plume des gens de lettres et des hommes d'Église, est considéré
comme un âge de pré-raison. Tel demande à ses parents
à recevoir l'habit des franciscains, telle autre a des visions
mystiques ou se soucie déjà de faire la charité aux
pauvres. Un enfant de 5 ans peut être touché par la
grâce divine ou, tel Saint Louis, accomplir un miracle. Les parents
estiment que c'est le moment de commencer l'éducation de leurs
enfants, même s'ils ne vont pas encore à l'école et
n'ont pas atteint l'âge de raison.
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L'âge de 5 ans est surtout considéré
comme l'âge du jeu. Pour Barthélemy l'Anglais, au XIIIe
siècle, les enfants de moins de 7 ans ne pensent qu'à
"jeux et ébattements" ; c'est pourquoi, même
s'ils sont laissés libres de s'ébattre dans la rue, où
ils ne manquent pas de commettre des bêtises, voire des vols, les
parents devraient encore les surveiller. Le pédagogue Philippe
de Novare mentionne un adage, semble-t-il répandu en son temps :
"Toujours dit-on que l'on doit protéger son enfant contre
le feu et l'eau jusqu'à ce qu'il ait passé sept ans."
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L'âge de raison
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Partout en Occident, 7 ans marque une césure :
c'est l'"âge de raison". Les enfants sont alors considérés
comme des paroissiens à part (presque) entière : tous,
riches ou pauvres, nobles ou paysans, ont l'obligation d'assister à
la messe du dimanche et, depuis le milieu du XIIIe
siècle, d'apprendre les prières majeures (le Notre-Père
et le "Je vous salue Marie", en latin). L'enfant de cet âge
est jugé capable d'assumer des responsabilités matérielles,
il commence à comprendre la différence entre le bien et
le mal, et il est susceptible d'être puni. Un texte didactique,
intitulé La Discipline des jeunes gens aprez l'age de VII ans,
est souvent recopié dans les manuscrits médiévaux.
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La scolarisation |
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Dès l'approche de l'âge de raison, l'enfant
doit être scolarisé (à 6 ans selon Avicenne)
et socialisé. 6 ans est aussi l'âge de l'apprentissage
du jeu d'échecs, selon Gui de Nanteuil. À partir de 7 ans,
tout enfant est par conséquent jugé bon pour l'école,
pour l'enseignement en latin du chant d'Église et pour l'initiation
aux bonnes manières. Dans l'idéal, les pédagogues
souhaitent que la transition soit douce et que les parents se montrent
tolérants, car l'enfant ne devient évidemment pas raisonnable
le jour même de son anniversaire. Barthélemy l'Anglais dit
qu'il est inutile de frapper un enfant en dessous de l'âge de 7 ans
car il ne peut comprendre pourquoi il est puni et en tirer profit. Aldebrandin
de Sienne conseille aux parents d'engager un pédagogue qui ne fonde
pas sa méthode éducative sur les coups
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Les premiers travaux |
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Il n'est pas conseillé de mettre les enfants
de cet âge au travail, sauf exception. C'est le cas dans le domaine
de la chasse. Gaston Phébus, prince du Béarn et auteur d'un
traité cynégétique, estime que, pour obtenir des
veneurs compétents, il faut les former progressivement à
cette tâche dès l'âge de 7 ans. Mais il laisse entendre
que 12 ans serait plus convenable pour la formation professionnelle
et s'étonne de la précocité de l'"enfant d'aujourd'hui
[qui] en sait plus de ce qui lui plaît" qu'un enfant de 12 ans
autrefois.
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En sélectionnant de si jeunes enfants, Gaston
Phébus innove : au siècle précédent,
Frédéric II de Hohenstaufen, dans l'Art de la chasse
à l'aide d'oiseaux qu'il fit composer pour son fils Manfred,
n'était guère partisan de donner aux jeunes la possibilité
de s'exercer au dressage des faucons : "Qu'il ne soit pas d'un
âge trop tendre pour ne rien entreprendre contre les règles
de l'art par puérilité. Car les jeunes ont coutume d'être
insatiables et de se délecter à la vue de vols nombreux
[
]. Pourtant, il ne faut pas complètement les écarter
s'ils sont particulièrement avisés." À la même
date, le pédagogue royal Gilles de Rome affirmait fortement que,
de "l'âge de 7 ans jusqu'à 13 ans, les enfants
ne doivent pas entreprendre de grands travaux, ni faire les uvres
de chevalerie, pour que leur croissance ne soit pas empêchée".
Mais il en allait sûrement autrement dans les milieux sociaux les
moins protégés. Ainsi, les rares autobiographies médiévales
d'enfants de milieux modestes montrent que ces derniers sont mis au travail
bien plus jeunes. C'est par exemple le cas de Jean de Brie, devenu berger
du roi de France, et auteur d'un traité d'élevage où
il explique qu'il a commencé à garder les troupeaux "alors
qu'il n'avait que 8 ans, à l'âge où les enfants
ont des poux dans la tête" ; il semble sous-entendre qu'il
en a été chargé à un âge particulièrement
tendre, plus, peut-être, que la plupart de ses contemporains. Mais
il ne s'agissait que d'oies et d'oisons. Un an et demi plus tard, on lui
confie la garde d'un troupeau de pourceaux, rôle bien plus dangereux :
"Le soir, au retour des champs et pâtures, ils s'en revenaient
si vite et si vigoureusement que ledit Jean, qui était alors bien
jeune, ne pouvait les retenir ni les rattraper."
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L'âge des responsabilités
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L'autonomie |
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10-11 ans est une phase charnière, juste
avant l'âge adulte. Jusque-là, les parents avaient l'obligation
de les surveiller de près : "Vous savez que, depuis leur
naissance jusqu'à ce qu'ils aient 10 ans passés, les
enfants sont en trop grand péril de mort et de maladie", rappelle
le juriste Philippe de Beaumanoir au XIIIe siècle.
Désormais, ils sont censés pouvoir se prendre en charge.
Ainsi, le petit Jean de Brie se voit confier de nouvelles responsabilités :
il mène l'attelage de chevaux à la charrue, puis garde un
troupeau de dix vaches à lait avant de s'occuper de vingt-quatre
agneaux "doux et innocents". Vers 11 ans, "vu que
ledit Jean croissait en âge et en science pour la garde des animaux",
on lui laisse la garde d'un troupeau de vingt-six moutons. Il assurera
ce rôle jusqu'à 14 ans, âge auquel on lui confiera
cette fois deux cents brebis
Pour les juristes scandinaves du Moyen Âge, l'enfance s'arrête
à 10 ans accomplis : "On appelle enfant un
enfant jusqu'à 10 ans." C'est l'âge à partir
duquel apparaît la responsabilité morale. Selon Jean Gerson,
chancelier de l'université de Paris en 1395, "les enfants
en qui Dieu a mis loquance et raison [
] au moins depuis qu'ils ont
passé 10 ans, ils ont franc arbitre de bien faire ou mal".
Néanmoins, il ne faut pas les soumettre aux tentations : Jean
Gerson explique aux parents qu'il faut dès cet âge séparer
les filles des garçons et veiller à ce qu'ils ne dorment
plus dans le même lit
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La majorité |

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12 ans constitue un moment clé dans la
vie des jeunes. En Europe occidentale, c'est l'âge de la majorité
pour les filles et celui d'une pré-majorité pour les garçons.
Dans le monde scandinave, la période comprise entre 12 et 15 ans
est une phase de semi-responsabilité juridique. Partout, la parole
des préadolescents est prise au sérieux. Ainsi, 12 ans
est l'âge minimum pour prêter serment et le témoignage
d'un jeune de cet âge est jugé recevable dans une affaire
criminelle. Les juges estiment en effet que sa mémoire est digne
de confiance depuis deux ans déjà : les enfants
ne peuvent témoigner dans un procès s'ils ont moins de 12 ans,
mais on enregistre tout de même leur témoignage, qui devient
recevable deux ans plus tard, à leur majorité, "car
on se souvient bien de ce que l'on voit dans l'enfance à l'âge
de 10 ou 12 ans", dit-on.
De même, les jeunes de 12 ans peuvent prendre des décisions
qui engagent leur vie : à partir du XIIe
siècle, c'est l'âge à partir duquel un oblat, remis
au monastère dans son enfance, a le droit de décider de
renoncer à la vie conventuelle. En milieu laïque, un jeune
garçon de 12 ans peut décider de conclure une transaction
commerciale ; cependant, du fait de sa jeunesse, il a encore le droit
à l'erreur : pour réserver ses droits, on lui concède
la faveur de pouvoir y renoncer une fois parvenu à l'âge
adulte, c'est-à-dire à 14 ans.
En échange, les jeunes ont des devoirs : il leur faut désormais
abandonner leurs activités ludiques et commencer à travailler.
Une lettre de la famille Paston, datée de 1465, montre que les
Anglais du XVe siècle estiment que 12 ans
est l'âge auquel on doit commencer d'aider son père dans
ses travaux : "Tout pauvre homme qui a élevé ses
enfants jusqu'à l'âge de 12 ans trouve normal qu'à
cet âge-là ceux-ci l'aident et lui soient de quelque utilité."
Dans la vie paroissiale, c'est à cet âge qu'il devient inadmissible,
sous peine de punition, d'ignorer le catéchisme.
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L'âge de la puberté
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Dès l'âge de 12 ans se pose la question
délicate de la sexualité. Contrairement à l'enfance,
à laquelle les lettrés attribuent la vertu de pureté,
l'adolescence est très mal vue car considérée comme
l'âge de l'impureté. Les médecins, tel Albert le Grand
au XIIIe siècle, décrivent à
loisir les modifications de l'organisme comme la mue chez les garçons,
mais aussi le développement des organes sexuels et l'apparition
du désir. Garçons et filles sont perpétuellement
soupçonnés d'être sur le point de succomber à
la tentation du péché de chair ; on redoute que les
filles ne tombent dans la prostitution et que les garçons, frustrés
par la perspective d'un mariage tardif, ne se laissent aller à
pratiquer le viol des honnêtes femmes, l'inceste avec leur mère
ou la sodomie avec leur pédagogue. Les inquiétudes des parents
et des éducateurs ne sont, dans quelques cas, pas totalement infondées.
À Avignon, par exemple, à la fin du Moyen Âge, les
prostituées appelées "fillettes" de joie (ou ailleurs
"fillettes publiques", "mignottes fillettes" et "fillettes
amoureuses") entraient effectivement dans la carrière avant
l'âge de 15 ans.
Comme les jeunes filles, et contrairement aux femmes mariées, les
prostituées laissent flotter librement leurs cheveux, indiquant
par là leur disponibilité. Elles sont le plus souvent placées
sous la surveillance des municipalités, exerçant dans des
"bordelages" ou "clapiers". L'organisation municipale
de la prostitution a pour mission d'éviter que les prostituées
ambulantes ne constituent autant d'exemples déplorables pour les
adolescentes. Ces "fillettes publiques" méritent bien
leur nom : elles se mettent en effet, selon les textes médiévaux
eux-mêmes, "au service de la chose publique [pro servicio
reipublicae]" : d'abord en détournant les jeunes
des cibles à protéger du viol (les filles et femmes de bourgeois)
et, accessoirement, en contribuant aux charges citoyennes (elles ont l'obligation
de participer, par exemple, à la lutte contre les incendies).
La majorité des adolescents mènent une existence plus tranquille.
Pour la plupart, les jeunes se contentent, comme aujourd'hui, de succomber
à la fameuse "crise de l'adolescence" ; les filles
se révoltent contre leur mère, qui cherche à leur
interdire toute sexualité, les garçons se rebellent contre
l'autorité du père, à qui ils restent soumis, matériellement,
jusqu'à ce que ce dernier meure en leur laissant sa terre. La pratique
de la mise en apprentissage dans des familles d'accueil évite nombre
de ruptures familiales : les adolescents, sortis de leur famille,
discutent alors plus volontiers avec leur maître, qui parvient mieux
à canaliser leur agressivité, même si ce dernier s'est
engagé par contrat à s'occuper d'eux "comme s'il était
leur père".
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L'âge adulte
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La phase que nous appelons aujourd'hui "adolescence"
correspond à ce qui était, au Moyen Âge, l'entrée
pleine et entière dans la vie adulte. Sur le plan civique, en France,
en Flandre comme en Italie, des garçons de 14 à 15 ans
sont couramment engagés dans les milices urbaines, où ils
prennent les armes. 14 ans est l'âge minimum de l'entrée
à l'université, alors réservée aux hommes.
Dans le monde du travail, d'autres jeunes commencent l'apprentissage dès
cet âge. Dans les trois derniers siècles du Moyen Âge,
l'âge des apprentis fluctue en effet entre 14 et 25 ans. Enfin,
14 ans est considéré par un pédagogue d'Église
tel que Jean Gerson comme "l'âge de pucelage", autrement
dit l'âge auquel le garçon peut perdre sa virginité
14 ans est l'âge auquel les filles peuvent avantageusement
être mariées. Philippe de Novare l'affirme : "L'on
ne devrait jamais marier un enfant mâle avant qu'il n'ait 20 ans
accomplis, mais doit-on volontiers marier les filles dès qu'elles
ont dépassé 14 ans
" Trop attendre serait
dangereux, pense-t-on. Cependant, la réalité dément
ces âges idéaux, surtout valables dans la haute aristocratie :
pendant les trois derniers siècles médiévaux, l'âge
au mariage oscille plutôt entre 27 et 30 ans pour les garçons,
17 et 19 ans pour les filles.
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15 ans est l'âge auquel est fixée
la fin de l'enfance. Comme l'écrit le juriste Philippe de Beaumanoir
dans Les Coutumes de Beauvaisis : "Tant qu'ils n'ont pas atteint
l'âge de 15 ans, ce sont des enfants." À partir
de cet âge, le jeune a le droit de plaider en justice, de conclure
une vente, d'être possesseur d'un fief, de devenir chanoine, voire
cardinal, de rédiger un testament, de procéder à
son élection de sépulture
Il n'est cependant pas pleinement
adulte pour autant : les apprentis entre 14 et 25 ans sont par
exemple considérés comme "mineurs pubères"
le temps de leur subordination à un maître. Dans sa correspondance,
un homme de l'aube des Temps modernes, Christophe Colomb, explique à
plusieurs reprises que "20 ans, c'est âge d'homme".
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