Un roi soupçonneux
 
 

Le roi était sur une tour ; il craignait fort pour ses hommes et critiquait vivement Éliduc, pensant et redoutant qu'il eût trahi ses chevaliers en les exposant au danger. Mais ils arrivent en belle troupe, tout chargés et encombrés de leur butin ; ils sont à leur retour bien plus nombreux qu'à leur départ, aussi le roi ne les reconnaît-il pas, plein de soupçon et de méfiance. Il ordonne de fermer les portes et à ses gens de monter sur les remparts pour tirer sur eux et leur lancer des projectiles. Mais ils n'auront pas besoin de le faire : les vainqueurs ont déjà envoyé un écuyer, piquant des deux, pour conter l'aventure et dire au roi comment son capitaine a remporté la victoire et comment il s'est comporté : il n'y eut jamais un pareil chevalier ! Il a fait prisonnier le connétable et pris vingt-neuf autres combattants, il en a blessé et tué un grand nombre.
Quand le roi apprend la nouvelle, il en est transporté de joie. Il descend de la tour et va à la rencontre d'Éliduc, le remerciant de son exploit. Éliduc lui livre les prisonniers et partage le butin des équipements entre les autres ; il ne garde pour lui que trois chevaux qu’on lui avait réservés ; sa part de butin à lui, il la partagea et en fit don aux prisonniers et aux autres combattants. À la suite des événements que je vous relate, le roi lui témoigna estime et affection. Il le retint une année entière avec ses compagnons, lui fit prêter serment de fidélité et fit de lui le gardien de sa terre.

 
 

Marie de France, "Éliduc", Lais, vers 1170, traduction d’Alexandre Micha (GF-Flammarion, 1994, p. 295)