Le spectacle de la rue
  Plusieurs auteurs du Moyen Âge se sont amusés à nous rapporter les cris qu'on entendait dans les rues de Paris (et dans bien d'autres villes). Voici, sur ce sujet, la plus ancienne composition qu'on connaisse. Ce texte est une adaptation moderne.
    
 
 

Je vous dirai comment font ceux qui ont des marchandises à vendre et qui courent Paris, en les criant, jusqu'à la nuit.
Ils commencent dès le point du jour. "Seigneurs, dit le premier, allez aux bains, vite, vite : ils sont chauds !" Et puis viennent ceux qui crient les poissons : harengs saurs et harengs blancs, harengs frais salés, vives de mer et aloses. Et d'autres qui crient les oisons, et les pigeons, et la viande salée, et la viande fraîche. Et la sauce à l'ail, et le miel. Et les pois en purée chaude, et les fèves chaudes. Et les oignons et le cresson de fontaine, et le pourpier, et les poireaux, et la laitue fraîche.
Celui-ci s'écrie : "J'ai du bon merlan frais, du merlan salé !..." Un autre : "Je change des aiguilles contre du vieux fer !" Ou bien : "Qui veut de l'eau contre du pain ?..." Et celui-là : "J'ai du bon fromage de Champagne, du fromage de Brie ! N'oubliez pas mon beurre frais !..." "Voilà du bon gruau ! Farine fine ! Farine..." "Au lait, la commère, ma voisine !..." "Pèches mûres ! Poires de Caillaux ! Noix fraîches ! Calville rouge ! Calville blanc d'Auvergne !..." "Balais ! Balais !..." "Bûches ! Bûches à deux oboles la pièce !..." Et puis l'huile de noix, les cerneaux, le vinaigre..." "Cerises au verjus ! Légumes ! Œufs ! Poireaux !..." "Pâtés chauds ! Gâteaux chauds !..." "Lardons grillés !"
"Marchands de vestes et de manteaux !..." "Rapiéceur de vêtement !..." "Raccommodeur de haches, de bancs et de baquets !..." "Herbe à joncher le sol !..." "Marchand de vieilles chaussettes !"
Et tous ceux qui réclament du pain : "Du pain pour les Frères mineurs !..." "Du pain pour les Carmes !..." "Du pain pour les pauvres prisonniers !..." "Du pain pour les croisés !…" "Du pain pour les aveugles du Champ-Pourri !..." "Du pain pour les Bons Enfants, pour les Filles-Dieu !"
"Étains à récurer ! Hanaps à réparer !..." "Qui veut des Noëls ?…" "Vieux fers, vieux pots, vieilles poêles à vendre..." "Chandelles ! Chandelles !"
Et voici qu'on publie un édit du roi Louis.
"Vin à trente-deux deniers ! à seize ! à douze ! à huit ! à six !..." "Flans tout chauds !..." "Châtaignes de Lombardie ! Figues de Malte ! figues ! Raisin de Damas ! raisin !..." "Savon d'outre-mer !"
Et voici le sonneur qui court les rues en criant : "Priez pour l'âme du trépassé !"
"Champignons ! champignons !..." "Cornouilles mûres ! cornouilles..." "Prunes de haies à vendre !..." "Qui veut des petits oiseaux contre du pain ?..." "Chapeaux ! chapeaux !..." "Charbon en sac, pour un denier !" Et sur le soir commence à crier le marchand d'oublies : "Voilà l'oublieur !"
Il y a tant à vendre que je ne puis m'empêcher d'acheter. À acheter seulement un échantillon de chaque chose une fortune y passerait.

 

E. Faral, Textes relatifs à la civilisation des Temps modernes, Hachette, 1938, p. 84-85