Ce diplôme, qui est la plus ancienne charte conservée
en faveur des écoliers de ce qui n'est pas encore officiellement
l'Université de Paris, procède d'un de ces classiques conflits
que les historiens anglais appellent "Town and Gown" (la Ville et la Robe),
c'est-à-dire opposant les bourgeois de Paris et les autorités
locales chargées d'y assurer l'ordre, en l'occurrence le prévôt
royal et les écoliers étudiant dans la ville. Le considérable
afflux de ces derniers dans ce foyer intellectuel hors de pair que constitue
déjà, dans la deuxième moitié du XIIe siècle,
la capitale du royaume, leur diversité ethnique et aussi leur turbulence
expliquent la fréquence de ces conflits. Un récit détaillé
de celui de 1200 nous est donné par le chroniqueur anglais Roger
de Hoveden : à l'origine une banale querelle de taverne mettant
en cause le serviteur d'un noble étudiant de l'Empire germanique,
qui dégénère, l'intervention du prévôt
et de ses sergents d'armes entraînant la mort du noble écolier
et de quelques-uns de ses compagnons, d'où plainte des scolares
auprès du roi. L'acte se veut à la fois un règlement judiciaire de l'affaire, assurant le châtiment par les soins du roi, du prévôt et de ses agents juges responsables de l'effusion de sang – règlement à l'intérieur duquel on notera la coexistence de méthodes de preuve héritées du haut Moyen Âge, l'ordalie et le duel judiciaire, et de pratiques plus "modernes" comme la commission d'enquête judiciaire – et la concession aux écoliers d'un certain nombre d'assurances pour l'avenir, en matière de police et de justice, à savoir la reconnaissance officielle par le souverain de l'extension à ces derniers du bénéfice de la juridiction ecclésiastique (le fameux privilège du "for") et la garantie à eux donnée, par un système de serments imposés aux bourgeois de Paris et au prévôt lors de son entrée en charge, d'une protection efficace de la justice royale en cas d'atteintes portées contre leurs personnes. Outre la menace peut-être brandie par les maîtres et les écoliers d'un éventuel exil volontaire de Paris, la personnalité de l'étudiant noble tué, un certain Henri de Jauche, un des compétiteurs au siège épiscopal de Liège, du parti de Philippe de Souabe, alors allié de Philippe Auguste, et le souci de ce dernier de rentrer dans les bonnes grâces du pape Innocent III expliquent sans doute l'étendue des présentes concessions royales. |
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Au nom de la sainte et indivisible Trinité,
Amen. Philippe par la grâce de Dieu, roi de France. Sachent tous
présents et à venir que, à cause de cette affaire
ignominieuse à l'occasion de laquelle, à Paris, des clercs
et des laïcs au nombre de cinq ont été tués
par des hommes malfaisants, nous ferons ainsi justice : nous maintiendrons
Thomas, qui était alors prévôt et qu'accusent avant
tout les écoliers mais qui nie les faits, dans des chaînes
perpétuelles et sous étroite surveillance et maigre pitance
tant qu'il vivra, à moins qu'il ne choisisse de subir publiquement
à Paris l'épreuve de l'eau ; s'il succombe, il sera
condamné, s'il en sort libéré, il ne sera plus jamais
à Paris ou ailleurs sur nos terres notre prévôt ou
notre bailli, il n'entrera plus de nouveau à Paris, ni ailleurs
si nous pouvons l'empêcher. Et si à la suite de la bonne
et juste enquête, à laquelle nous avons demandé à
nos deux fidèles Gautier le Chambellan et Philippe de Lévis
de procéder, sans faire acception de personne, selon leur foi de
chrétiens et celle qu'ils nous doivent en tant que leur seigneur
lige et par le serment qu'ils nous prêteront d'être nos conseillers
en tout honneur, il apparaît que nous pouvons ou devons faire davantage,
nous le ferons sans aucun délai, l'honneur de Dieu et le nôtre
étant saufs. Pour les autres personnes qui ont été
emprisonnées pour le même forfait, nous les maintiendrons
dans notre prison dans des chaînes perpétuelles, à
moins qu'ils ne préfèrent subir l'épreuve de l'eau
et prouver, avec l'aide de Dieu, leur innocence : s'ils succombent
à l'épreuve, nous les tiendrons pour coupables ; si
une enquête valable prouve que quelques-uns d'entre eux sont innocents
ou de moindre culpabilité, nous les libérerons de la prison
par l'intercession des écoliers. Quant à ceux qui ont fui,
nous les tiendrons de ce fait pour coupables et nous ferons jurer à
tous nos prévôts de les rechercher avec soin et, s'ils peuvent
les prendre, de les envoyer à Paris. |
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Recueil des actes de Philippe Auguste,
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