Diplôme de Philippe Auguste
en faveur des écoliers de Paris [juillet ?] 1200
  Ce diplôme, qui est la plus ancienne charte conservée en faveur des écoliers de ce qui n'est pas encore officiellement l'Université de Paris, procède d'un de ces classiques conflits que les historiens anglais appellent "Town and Gown" (la Ville et la Robe), c'est-à-dire opposant les bourgeois de Paris et les autorités locales chargées d'y assurer l'ordre, en l'occurrence le prévôt royal et les écoliers étudiant dans la ville. Le considérable afflux de ces derniers dans ce foyer intellectuel hors de pair que constitue déjà, dans la deuxième moitié du XIIsiècle, la capitale du royaume, leur diversité ethnique et aussi leur turbulence expliquent la fréquence de ces conflits. Un récit détaillé de celui de 1200 nous est donné par le chroniqueur anglais Roger de Hoveden : à l'origine une banale querelle de taverne mettant en cause le serviteur d'un noble étudiant de l'Empire germanique, qui dégénère, l'intervention du prévôt et de ses sergents d'armes entraînant la mort du noble écolier et de quelques-uns de ses compagnons, d'où plainte des scolares auprès du roi.
L'acte se veut à la fois un règlement judiciaire de l'affaire, assurant le châtiment par les soins du roi, du prévôt et de ses agents juges responsables de l'effusion de sang – règlement à l'intérieur duquel on notera la coexistence de méthodes de preuve héritées du haut Moyen Âge, l'ordalie et le duel judiciaire, et de pratiques plus "modernes" comme la commission d'enquête judiciaire – et la concession aux écoliers d'un certain nombre d'assurances pour l'avenir, en matière de police et de justice, à savoir la reconnaissance officielle par le souverain de l'extension à ces derniers du bénéfice de la juridiction ecclésiastique (le fameux privilège du "for") et la garantie à eux donnée, par un système de serments imposés aux bourgeois de Paris et au prévôt lors de son entrée en charge, d'une protection efficace de la justice royale en cas d'atteintes portées contre leurs personnes.
Outre la menace peut-être brandie par les maîtres et les écoliers d'un éventuel exil volontaire de Paris, la personnalité de l'étudiant noble tué, un certain Henri de Jauche, un des compétiteurs au siège épiscopal de Liège, du parti de Philippe de Souabe, alors allié de Philippe Auguste, et le souci de ce dernier de rentrer dans les bonnes grâces du pape Innocent III expliquent sans doute l'étendue des présentes concessions royales.
    
 
 

Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Amen. Philippe par la grâce de Dieu, roi de France. Sachent tous présents et à venir que, à cause de cette affaire ignominieuse à l'occasion de laquelle, à Paris, des clercs et des laïcs au nombre de cinq ont été tués par des hommes malfaisants, nous ferons ainsi justice : nous maintiendrons Thomas, qui était alors prévôt et qu'accusent avant tout les écoliers mais qui nie les faits, dans des chaînes perpétuelles et sous étroite surveillance et maigre pitance tant qu'il vivra, à moins qu'il ne choisisse de subir publiquement à Paris l'épreuve de l'eau ; s'il succombe, il sera condamné, s'il en sort libéré, il ne sera plus jamais à Paris ou ailleurs sur nos terres notre prévôt ou notre bailli, il n'entrera plus de nouveau à Paris, ni ailleurs si nous pouvons l'empêcher. Et si à la suite de la bonne et juste enquête, à laquelle nous avons demandé à nos deux fidèles Gautier le Chambellan et Philippe de Lévis de procéder, sans faire acception de personne, selon leur foi de chrétiens et celle qu'ils nous doivent en tant que leur seigneur lige et par le serment qu'ils nous prêteront d'être nos conseillers en tout honneur, il apparaît que nous pouvons ou devons faire davantage, nous le ferons sans aucun délai, l'honneur de Dieu et le nôtre étant saufs. Pour les autres personnes qui ont été emprisonnées pour le même forfait, nous les maintiendrons dans notre prison dans des chaînes perpétuelles, à moins qu'ils ne préfèrent subir l'épreuve de l'eau et prouver, avec l'aide de Dieu, leur innocence : s'ils succombent à l'épreuve, nous les tiendrons pour coupables ; si une enquête valable prouve que quelques-uns d'entre eux sont innocents ou de moindre culpabilité, nous les libérerons de la prison par l'intercession des écoliers. Quant à ceux qui ont fui, nous les tiendrons de ce fait pour coupables et nous ferons jurer à tous nos prévôts de les rechercher avec soin et, s'ils peuvent les prendre, de les envoyer à Paris.
Au sujet de la sécurité des écoliers à l'avenir à Paris, nous avons du conseil de nos hommes ordonné ceci : nous ferons jurer à tous les bourgeois de Paris que, s'ils voient à l'avenir un laïc chercher noise à un écolier, ils en rendront sans délai témoignage véritable, et ils ne se déroberont pas pour ne pas voir le méfait. Et s'il arrive que quelqu'un frappe un écolier, à moins que ce ne soit pour se défendre, si l'écolier est frappé surtout par armes, bâton ou pierre, tous les laïcs qui le verront se saisiront de bonne foi du ou des malfaiteur(s) et le(s) livreront à notre justice, et ils ne se déroberont pas pour ne pas voir le méfait, éviter de participer à l'arrestation ou de porter témoignage. Que le malfaiteur ait été pris sur le fait ou non, nous ferons faire une enquête légitime et fidèle, soit par des clercs, soit par des laïcs, soit par des personnes dignes de foi (et notre prévôt et nos officiers de justice feront pareillement) ; et s'il est prouvé par l'enquête qu'il a commis le forfait qui lui est imputé, nous en ferons aussitôt justice (et nos officiers pareillement) selon la nature et l'étendue du délit, quand bien même le malfaiteur nierait le fait, ou se dirait prêt à se défendre par le duel judiciaire ou à se laver des soupçons par l'épreuve de l'eau.
En outre, notre prévôt ou nos officiers de justice ne pourront mettre la main sur un écolier ou renvoyer en prison pour aucun méfait, sauf si celui-ci semble tel que l'écolier doive être arrêté ; dans ce cas notre justice l'arrêtera sur le lieu même sans le frapper, à moins qu'il ne se défende et le rendra à la justice ecclésiastique qui devra le garder pour que satisfaction nous en soit faite ou à la victime. Et si le forfait paraît grand, notre justice ira ou enverra pour voir ce qui sera fait de l'écolier. Si l'écolier ne s'est pas défendu et a subi des violences lors de son arrestation, nous lui ferons justice selon la susdite enquête et le susdit serment. En ce qui concerne le capitale des écoliers, s'il semble qu'il doive être saisi, il le sera par la justice ecclésiastique, qui le gardera afin qu'il ne soit décidé au sujet de ce capitale ce qui aura été jugé conforme au droit par l'Église. Et si des écoliers ont été arrêtés par notre prévôt à une heure telle que la justice ecclésiastique ne puisse pas être trouvée ou mise en action, notre prévôt les fera garder, sans aucune violence comme il a été dit, dans une maison d'un écolier, jusqu'à ce qu'ils soient livrés à la justice ecclésiastique.
À l'égard des serviteurs laïques des écoliers, qui ne nous doivent ni droit de bourgeoisie ni de résidence et qui ne sont pas marchands et dont les écoliers ne portent pas tort à autrui, ni nous ni nos officiers de justice ne mettrons la main sur eux, à moins qu'un délit apparent ne nous y oblige.
Quant à la teneur du privilège que nous avons conféré aux écoliers de Paris, nous ne voulons pas que les chanoines de Paris et leurs serviteurs soient inclus dans ce privilège, mais nous voulons que ceux-ci aient les mêmes libertés que leur ont reconnues nos prédécesseurs et nous les leur reconnaissons. Nous ne pourrons pas être mis en procès à propos desdites conventions et de cette charte, sauf devant notre cour (curia).
Afin que ces décisions soient précautionneusement gardées et renforcées à perpétuité dans la stabilité du droit, nous avons ordonné que notre prévôt et le peuple de Paris confirment par serment qu'ils observeront en toute bonne foi ces choses à l'égard des écoliers ; et à l'avenir, quiconque recevra de notre part l'office d'administrer la prévôté de Paris confirmera par un serment public, dans les débuts de son entrée en fonction, c'est-à-dire le premier ou le deuxième dimanche suivant celle-ci, et après qu'il en aura été sommé, dans une des églises de Paris et devant les écoliers, qu'il observera toutes ces choses en toute bonne foi.
Afin de lui donner valeur perpétuelle, nous avons ordonné de confirmer la présente page par l'autorité de notre sceau et l'annotation en bas de celle-ci du monogramme du nom royal. Fait à Béthisy, l'an de l'Incarnation du Verbe 1200, la vingt et unième année de notre règne, étant présents dans notre palais ceux dont les noms et les signatures sont apposés au bas de la page. Sénéchal absent. Signum du bouteiller Gui. Signum du chambrier Mathieu. Signum du connétable Dreu. Donné la chancellerie étant vacante.

 
 

Recueil des actes de Philippe Auguste,
éd. H. Fr. Delaborde et Ch. Petit-Dutaillis, J. Monicat, t. II. Paris, 1943, n° 644, p. 200-203. Traduction du latin.