Les enlumineurs (XIIIe siècle)
  De l'époque romane, nous connaissons le nom et aussi l'image d'un certain nombre de miniaturistes. La place la plus importante est toutefois, à l'intérieur du scriptorium, celle réservée au scriptor, au copiste. Son travail est considéré comme plus élevé et plus intellectuel que le travail manuel du peintre : copiste des paroles divines, ou des vies des saints, il voit se réfléchir sur lui la lumière du Verbe. Sur le manuscrit de Cambridge, en pleine page, le scribe Eadwin est assis à son écritoire, occupé à son travail, entouré d'une inscription qui s'adresse au lecteur et le met en scène : Eadwin se proclame prince des copistes, dont la réputation et la gloire sont immortelles et il invite à interroger les lettres, ses créatures, pour savoir qui il est. Plus que d'un portrait fait du vivant même d'Eadwin, il doit s'agir d'un hommage posthume rendu à l'auteur par l'atelier de copie de Cantorbéry.
Il arrive, de plus en plus souvent, que le copiste soit aussi enlumineur. Nous avons conservé plusieurs autoportraits de ces artistes, sur le modèle de ceux des copistes, mais affirmant leur spécialité de peintres et de miniaturistes. L'importance des tâches qui leur sont confiées ne se limite cependant pas au dessin et à l'application des coloris. Des traces de marquage sur les dessins établissent clairement qu'ils indiquaient aussi les couleurs à employer, à tel ou tel moment de l'enluminure.
Employer, dans le cas des enlumineurs, le mot d'"atelier" risque, très facilement, de conduire à une vision corporatiste complète, distinguant les maîtres, les apprentis, et les assistants. En fait, d'après les documents d'archives et l'iconographie de ces artistes au travail, sans omettre les données archéologiques fournies par les manuscrits eux-mêmes, il semble que ce ne soit pas la règle la plus courante. Des individus vivant à proximité les uns des autres, dans la même paroisse, voire le même quartier, travaillant occasionnellement ensemble. Ou bien, parfois, il s'agit de véritables familles artisanales, de dynasties.
Le document est un extrait des rôles de la taille, levée à Paris entre 1292 et 1297, qui porte mention de noms d'enlumineurs soumis à l'impôt. En outre, les termes dont on se sert pour désigner tel ou tel métier d'art laisse voir les ambiguïtés de certaines des dénominations, et leurs variations nombreuses.
    
 
 

Les enlumineurs parisiens dans les rôles de la taille, 1292-1297

Honoré d'Amiens.
Paroisse Saint-Séverin. Rue Erambourc-de-Brie.
1292. Honoré l'enlumineur, 10 s.
Richart de Verdun, son gendre, 8 s.
Thomassin son valet, 2 s.
1296. Maître Honoré, enlumineur, 12 s.
1297. Maître Honoré d'Amiens, 8 s.
1299. Honoré d'Amiens, enlumineur, 9 s.
1300. Maître Honoré, enlumineur, 9 s.

Aubert, l'ymagier
Paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois, en enclave dans la paroisse Sainte-Opportune. Grant rue.
1292. Aubert l'ymagier, 23 s.
1296. Aubert l'ymagier, 36 s.
Jehan son fils, 10 s.
1297. Aubert l'ymagier, 36 s.
Jehan son fils, 10 s.
1298. Aubert l'ymagier, 36 s.
1299. Aubert l'ymagier, Jehan son fils et son autre frère, 36 s.

Geoffroy Bourjois.
Paroisse Saint-Merry. Rue-Neuve.
1292. Giefroi le Bourjois, 2 s
1296. Gefroi, Borjois, peintre, 10 s.
1297. Bourjois le peintre, 8 s.
1298. Gieffroi Bourjois, peintre, 8 s.
1299. Geffroi Bourjois, peintre, 8 s.
1300. Gieffroi Bourjois, peintre, 8 s.
1313. Geffroy le peintre, 3 s.

 
 

Les Livres de la taille parisiens, Archives nationales
et Bibliothèque nationale. Adaptation de l'ancien français.