Persécutions et rumeurs antisémites (1292)
  L'accusation de meurtre rituel n'est pas la seule rumeur à être répandue parmi la population. La légende de l'hostie profanée est très fréquente. Un grand nombre de juifs furent arrêtés et brûlés sur la foi de dénonciations.
    
 
 

Cette même année arriva à Paris un événement extraordinaire, aux dires de ceux qui s'y trouvaient. Dans cette ville, il y avait une femme à qui un juif avait prêté de l'argent avec usure sur ses draps. Elle alla voir le juif le jour de la sainte Pâque et dit qu'elle voulait racheter ses draps. Il lui répondit que si elle voulait bien lui apporter "son Dieu qu'elle adorait" et qu'elle devait recevoir ce jour-là, il lui rendrait ses draps sans lui demander d'argent. Elle, "embrasée de convoitise", alla à l'église, reçut avec dévotion le précieux corps de Jésus-Christ et l'apporta au juif qui lui rendit ses draps et jeta l'ostie dans une casserole d'eau qui bouillait sur le feu. Quand il vit que cela ne l'abîmait pas, il tira son couteau et commença à la frapper dans l'eau ; et l'eau qui était claire devint rouge comme si elle avait été mélangée à du sang. Sur ce, une femme chrétienne entra dans la maison du juif et elle s'aperçut du crime que le juif était en train de commettre ; elle commença à l'injurier et à le menacer d'en parler à l'évêque. Le juif prit peur et promit de lui donner 20 sous si elle se taisait et l'aidait à détruire son Dieu ; mais celle-ci n'était pas si "convoiteuse" que la première, et répondit qu'elle préférerait être brûlée dans un feu. Elle sortit de la maison très en colère et en parla à deux sergents qui se rendirent à la maison du juif et trouvèrent qu'il n'avait en rien changé sa volonté de faire du mal à Notre Sauveur, même après ce qu'il avait vu. Il l'avait au contraire frappé encore à plusieurs reprises et replongé dans l'eau froide qui, à son tour, était devenue toute "vermeille". Quand il se rendit compte que les sergents venaient pour l'arrêter, il versa l'eau dans un lieu où ils ne purent la voir et ils trouvèrent l'ostie sur une table où elle avait si doucement sauté que ni le juif ni les deux autres ne s'en étaient rendu compte. Le juif fut arrêté et mis en prison : il avoua toute l'affaire sans en avoir aucun repentir ; et pour ce crime, il fut brûlé à Paris, en la place aux Pourceaux.

 
 

Chronique anonyme finissant en 1308, éd. Recueil des historiens de France, Paris, 1856. t. XXI, p. 132-133. Adaptation de l'ancien français par E. Lalou.