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Le roi appela alors Girflet. "Allez là-bas sur ce tertre, lui enjoignit-il ; vous y trouverez un lac ; jetez-y mon épée, car je ne veux pas qu'elle demeure dans ce royaume, de peur qu'elle n'échoie aux perfides héritiers qui y resteront après nous. – Sire, j'exécuterai vos ordres, encore que je préférerais, s'il vous plaisait, que vous m'en fassiez don. – Non, répliqua le roi, car vous n'en feriez pas assez bon usage." | |
Girflet monta alors sur la colline ; parvenu au
lac, il tira l'épée du fourreau et se mit à la contempler ;
elle lui parut une si bonne épée et si belle qu'il pensa que
ce serait trop dommage de la jeter dans ce lac, comme le roi lui en avait
donné l'ordre, car elle serait ainsi perdue. Mieux valait jeter la
sienne à la place et dire au roi que son ordre avait été
suivi. Enlevant donc sa propre épée, il la jeta dans le lac
et déposa l'autre sur l'herbe ; il revint alors au roi. " Sire,
lui dit-il, j'ai fait ce que vous m'aviez commandé, j'ai jeté
votre épée dans le lac. – Et qu'as-tu vu ? dit le roi.
– Sire, je n'ai rien vu, sinon qu'elle était bien dans le lac. – Ah ! dit le roi, tu me tourmentes ! retourne sur tes pas et jette-la,
car ce n'est pas encore fait." L'autre retourna immédiatement vers
le lac et tira l'épée du fourreau ; il se mit à
gémir sur elle, disant que ce serait trop dommage qu'elle soit ainsi
perdue. Il pensa alors qu'il pourrait jeter le fourreau et conserver l'épée,
car elle pourrait être encore utile à lui ou à un autre.
Il prit le fourreau et le jeta précipitamment dans le lac, puis reprit
l'épée et la cacha sous un arbre. Il s'en revint aussitôt
au roi. " Sire, à présent j'ai accompli votre ordre. – Et
qu'est-ce que tu as vu? dit le roi. – Sire, je n'ai rien vu que je n'aurais
dû voir. – Ah ! dit le roi, tu ne l'as pas encore jetée ;
pourquoi me mets-tu à la torture ? Va, jette-la, et tu sauras
ce qu'il en adviendra, car elle ne disparaîtra pas sans que se produise
un grand prodige." Quand Girflet vit qu'il lui fallait vraiment s'exécuter,
il revint là où était l'épée, s'en saisit
et resta à la contempler en s'apitoyant sur elle : " Belle et
bonne épée, quel dommage pour vous, de ne pas échouer
dans les mains de quelque valeureux chevalier !" Puis il la lança
au plus profond du lac, et le plus loin de lui qu'il put. Dès qu'elle
approcha de l'eau, il vit une main qui sortait du lac et se montrait jusqu'au
coude, mais il ne vit rien du corps auquel la main appartenait ; la
main prit l'épée par la poignée et se mit à
la brandir trois ou quatre fois vers le ciel. Quand Girflet eut clairement vu ce prodige, la main s'enfonça dans l'eau avec l'épée ; il attendit là longtemps pour savoir si elle se manifesterait davantage ; quand il comprit qu'il s'attardait en vain, il s'éloigna du lac et vint au roi ; il lui dit qu'il avait jeté l'épée dans le lac et lui conta ce qu'il avait vu. "Par Dieu, dit le roi, je pensais bien que ma fin était toute proche." |
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La Mort du roi Arthur, vers 1230, traduction de Marie-Louise Ollier (UGE, "10/18", 1992, p. 292-4) |
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