Fournitures et services dus à l'évêque
par les artisans de Strasbourg (1131-1132)
  Ville d'Empire, dominée par l'autorité incontestée de son évêque au XIe siècle, Strasbourg est, au début du XIIe siècle, le théâtre de luttes importantes entre le chapitre cathédral – défenseur de la réforme grégorienne, mais surtout désireux d'obtenir son indépendance – et ses évêques nommés par l'empereur. Le "premier statut municipal" nous est parvenu sans date ni nom de rédacteur. Composé dans le deuxième quart du XIIe siècle, il est très long et comprend deux parties distinctes : la première expose les attributions des quatre administrateurs principaux de la ville, et la seconde, seule reprise ici, énumère les diverses prestations dues à l'évêque par les bourgeois, marchands et artisans. L'artisanat urbain y apparaît relativement développé mais n'a pas encore réussi à échapper au joug seigneurial : certains artisans font partie de la familia de l'évêque ou y sont assimilés le temps de leur service, d'autres sont astreints à des services spécifiques à leur qualification professionnelle. Mais le caractère relativement archaïque de ces obligations indique probablement que l'évêque tente de remettre en vigueur des prescriptions tombées en désuétude.
    
 
 

[...] 5. Toutes les magistratures de cette ville appartiennent au pouvoir de l'évêque de telle sorte qu'il les institue lui-même et que ceux qu'il y établit, les plus haut placés commanderont au plus petits, selon leur dépendance envers lui.
6. L'évêque ne doit confier d'office public à quiconque n'est pas de la familia de son église.
7. L'évêque investit de sa main, les quatre offices sur lesquels repose le gouvernement de la ville, à savoir : l'écoutète, le burgrave, le tonloyer et le maître des monnaies. [...]
44. Il appartient à l'office du burgrave d'instituer les maîtres de presque tous les métiers de la ville, à savoir des selliers, des pelletiers, des gantiers, des sueurs, des fèvres, des meuniers, de ceux qui font les pots de vin et les pichets, ainsi que des fourbisseurs d'épées, de ceux qui vendent les fruits, et des aubergistes. Il a pouvoir de les juger en cas de faute dans l'exercice de leur office.
45. Les sentences seront prononcées et les amendes payées dans le palais épiscopal.
46. S'ils refusaient d'obéir au burgrave, celui-ci doit en déférer à l'évêque.
47. Il appartient au droit du burgrave de percevoir les tonlieux des épées qui seront portées et vendues à la foire dans leur fourreau.
48. Le burgrave perçoit le tonlieu des huiles, des noix, des fruits quel que soit l'endroit où ils seront conduits et vendus pour deniers. S'ils étaient vendus pour du sel, du vin, du froment ou tout autre prix, le tonlieu serait partagé entre le burgrave et le tonloyer. [...]
93. Chaque bourgeois doit chaque année cinq jours de travail à l'exception de tous les monnoyers qui appartiennent à la familia de l'église, de douze pelletiers et huit sueurs et de l'ensemble des fèvres, des charpentiers, des bouchers et des tonneliers travaillant pour ceux qui sont chargés de l'approvisionnement en vins. [...]
102. Douze des pelletiers devront faire, aux frais de l'évêque, les peaux et les fourrures lorsque l'évêque en aura besoin. Le maître des pelletiers prendra avec lui autant d'artisans parmi les douze qu'il sera nécessaire, et achètera leur matériel avec l'argent de l'évêque de Cologne ou de Mayence. Si quelque dommage leur arrivait en chemin, tant par vol que par prise d'otage, l'évêque devra leur donner à nouveau l'argent nécessaire.
103. La réglementation des fèvres est telle que, lorsque l'évêque voyagera au service de l'empereur, chaque fèvre donnera quatre fers à cheval avec leurs clous ; le burgrave en donnera à l'évêque pour équiper vingt-quatre chevaux et gardera le reste. [...]
105. De plus, les fèvres devront faire tout ce qui doit être fait en fer pour tout ce dont l'évêque aura besoin dans son palais, soit pour les portes, soit pour les fenêtres, soit pour les portes du mobilier. Leur seront donnés le fer et les provisions pour vivre durant ce service.
106. Si l'évêque assiégeait un château ou était assiégé, ils lui donneraient trois cents flèches. Si l'évêque en réclamait davantage, ils lui en fourniraient suffisamment, mais à ses frais et dépens.
107. Les fèvres doivent aussi faire les fermetures et les chaînes servant à fermer les portes de la ville aux frais et dépens de la chose publique.
108. Parmi les sueurs, il en est huit qui fourniront les gaines des chandeliers, des bassins et des vases lorsque l'évêque se déplacera à la cour ou au service de l'empereur. Tout le reste, fait de cuir noir et nécessaire aux expéditions ou aux sièges de châteaux, que ce soient les sacs, les valises ou les bagages requis par les affaires susdites, sera exécuté aux frais et dépens (de l'évêque).
109. Quatre des gantiers donneront à l'évêque qui ira à la cour ou en expédition autant de cuir blanc qu'il sera nécessaire pour les gaines des chandeliers, des bassins et des vases. Tout le reste, fait de cuir blanc et nécessaire aux choses déjà dites ou aux sièges des châteaux, sera effectué aux frais et dépens de l'évêque.
110. Les selliers donneront à l'évêque deux selles de charge s'il va à la cour et quatre s'il va à la chevauchée de l'empereur. Si l'évêque en réclamait davantage, les selliers les feraient à ses frais et dépens.
111. Lorsque l'évêque ira à la chevauchée ou à la cour, les polisseurs de lames devront nettoyer les épées et les casques du vidame, du maréchal, du sénéchal, de l'échanson, du chambrier et de tous ceux qui quotidiennement servent l'évêque. De plus, ils nettoieront, si nécessaire, les épieux de chasse des évêques.
112. L'évêque aura tous les bouchers de la boucherie nécessaires à sa cour ou à celle de l'empereur quand il s'y rendra, à ses frais et dépens. Le maître des tonneliers donnera le bois. De plus, il donnera tous les jours le bois aux bouchers de l'évêque.
113. Avec le bois donné par leur maître, d'une part, et les cerceaux fournis par le cellerier de l'évêque d'autre part, les tonneliers feront tout ce dont auront besoin l'évêque dans sa demeure, l'empereur ou l'impératrice, lorsqu'ils seront présents, pour leurs bains comme pour la cuisine ou pour l'office des échansons. Ils fourniront également tout cela lorsque l'évêque ira à la cour, mais aux frais et dépens de ce dernier. De plus, ils encercleront tous les tonneaux de l'évêque, grands et petits, à ses frais et dépens.
114. Le devoir des aubergistes est de nettoyer tous les lundis les communs et le grenier de l'évêque, s'il le souhaite.
115. Les meuniers et les pêcheurs doivent transporter l'évêque par voie d'eau partout où il le voudra, entre Rust en amont et Velletor en aval. Le tonloyer de l'évêque fournira autant de bateaux que nécessaire. Ils entreront eux-mêmes à la rame dans l'enceinte de l'évêque et rapporteront les bateaux où ils les ont pris, aux frais de l'évêque. Les pêcheurs fourniront deux hommes, les meuniers le troisième. S'ils perdaient les bateaux par leur négligence, ils les rembourseraient ; s'ils leur étaient enlevés par force, l'évêque les restituerait.
116. Les pêcheurs doivent pêcher pour l'évêque, entre la Nativité de la Vierge et la fête de saint Michel, tous les ans trois jours et trois nuits avec tous leurs outils, au moment où les eaux seront poissonneuses, sur le Rhin entre Velletor en aval et Rust en amont, sur l'Alsa jusqu'à Ebersheim, sur la Bruche jusqu'à Molsheim, sur la Schuttura jusqu'à Merburg, sur la Kinzig jusqu'à Kinzdorff, et ce aux frais de l'évêque. Pendant cette période, que nul ne les repousse des eaux, sauf de celles retenues par des écluses. [...]
118. Les charpentiers devront travailler pour l'évêque à ses dépens tous les lundis. S'ils viennent devant le palais de grand matin, ils ne s'en iront pas avant que ne sonne la cloche annonçant la messe matinale. Si, dans l'intervalle, ils n'étaient pas employés aux travaux de l'évêque, ils pourront s'éloigner librement. On ne les contraindra pas à participer à d'autres travaux que ceux de l'évêque.

 
 

W. Wiegand, Urkundenbuch der stadt Strasburg, Strasbourg, t. I, 1879, n° 616, p. 467- 76. Traduction du latin.