Impôts et métiers à Aix-en-Provence (1366)
  La ville s'individualise aussi par rapport au plat pays environnant par la barrière d'une enceinte. La guerre et la fiscalité, facteurs intimement mêlés, ont influencé profondément la vie quotidienne des citadins, soumis à des situations très variables. Les habitants des villes avaient moins à redouter que les paysans pour la vie de leur famille et la destruction de leurs biens lorsque les hommes d'armes parcouraient le pays. Mais la sécurité, relativement aisée à organiser grâce au nombre d'habitants, se payait au prix fort : entraîner une milice ou loger une garnison d'hommes d'armes, construire un rempart, se faisaient en général aux frais des citadins, solidaires financièrement de leur propre sécurité. Le progrès des armements à la fin du Moyen Âge a accru la charge d'autant plus que nombre de villes s'étaient développées en agglomérations ouvertes au cours du XIIIe siècle.
La charte de concession de la rève, ou gabelle, sur les produits de consommation, octroyée par le sénéchal de Provence à la ville d'Aix-en-Provence offre, dans cette perspective, trois thèmes majeurs d'intérêt. Elle crée une fiscalité nouvelle, étendue à une gamme très vaste de revenus, et traduit les rapports entre les autorités consulaires d'Aix et une administration royale. L'accord de celle-ci était indispensable, touchant le domaine essentiel de la défense et de la protection des sujets ; en déléguant la responsabilité de la fortification à la communauté des habitants, elle allège considérablement ses obligations financières.
En effet, la capitale du comté de Provence subit depuis quinze ans une situation de guerre civile très dure, évoquée dans le préambule : à la "guerre des sénéchaux" de 1347-1352 a succédé la "guerre des Baux" déclenchée en 1357 et qui devait durer vingt ans, rendue plus meurtrière par le passage des compagnies et les ambitions de Jean d'Armagnac. La communauté d'Aix a entrepris, à partir de 1352, d'élever une enceinte (en commençant par les portes) autour de la ville qui en était dépourvue, à l'exception de la cité épiscopale proprement dite. Une première gabelle levée sur la consommation alimentaire (pain, vin, viande) en 1352 n'a pas suffi. L'acte de 1366 établit donc, c'est son second intérêt, une contribution exceptionnelle à laquelle la quasi-totalité de la population urbaine (mendiants compris !) est sollicitée de participer. Sont successivement imposés dans ces articles les revenus fonciers et immobiliers, le cheptel, l'alimentation, et plus généralement les gains commerciaux et les revenus professionnels. La perception de la rève est affermée aux enchères : le système fondé sur la consommation garantit la sécurité du remboursement du fermier, un notable de la ville, marchand ou notaire, et épargne relativement les revenus fonciers et immobiliers et le capital des mêmes notables.
Le choix fiscal vaut un document instructif sur la diversité des métiers qui assurent l'existence d'une population urbaine importante (environ 10 000 habitants), mais dont l'activité n'est en rien comparable aux grandes cités marchandes des Flandres ou d'Italie. La ville vit essentiellement de l'économie des campagnes proches, pour le ravitaillement, ou plus lointaines, grâce à un fort développement de l'élevage lainier et de l'élevage de boucherie. Mais aucune activité locale de tissage n'est mentionnée, et la ville importe des draps "de France", sans doute flamands, achetés aux foires de Champagne, ou du Languedoc. Les métiers artisanaux sont en partie liés au commerce du vin, assez actif ; il y a tout de même des marchands de métaux précieux, quelques orfèvres, mais les liens avec le commerce marseillais sont limités. Hommes de loi et notaires, gros propriétaires éleveurs qui commercent les produits de leurs troupeaux, composent le milieu dirigeant d'une ville très profondément insérée dans les relations économiques avec la campagne.
    
 
 

Raymond d'Agoult, chevalier, sénéchal des comtés de Provence et de Forcalquier, aux officiers royaux de la cour de la cité d'Aix auxquels parviendront les présentes et qui les liront, et à leurs lieutenants respectifs présents et futurs, salut. De la part de l'université des hommes de cette cité, parce que l'argent de ladite communauté est épuisé par diverses dépenses faites et subies à cause de la nécessité des temps passés et [qu'elle] ne peut à présent se consacrer à sa fortification, nous fûmes à nouveau sollicité jusqu'à ce jour de daigner leur concéder avec bienveillance l'imposition d'une rève et de la convertir pour la construction de ladite fortification, pour la durée qu'il plaira au bon vouloir du roi, ou de nous-même et du conseil de la communauté, à savoir :
Et en premier, toute personne, quelle que soit sa condition, qu'elle soit citoyenne ou habitante d'Aix ou passant par la cité d'Aix ou son territoire ou district avec des marchandises, paiera et devra payer pour sa fortification quatre deniers par livre ou par quantité de vingt sous de valeur des marchandises qui traverseront le territoire ou le district, sous peine de quarante sous.
[2] De même, toute personne qui achète, vend ou donne sans paiement ou reçoit par enchères ou autrement, ou échange une ou plusieurs possessions ou propriétés, quel que soit leur statut, qui soient situées dans la cité d'Aix, dans son territoire ou son district, ainsi que les cens, services, tasques, quartes et autres semblables, chacune d'elles, qu'elle achète ou vende, cède ou reçoive, devra payer pour la même raison deux deniers par livre ou pour vingt sous de valeur de ces biens, sous la même peine.
[3] De même, toute personne, quelle que soit sa condition, qui perçoit ou reçoit des cens, services, accapts ou trezains, quartes ou autres [redevances] semblables dans la cité d'Aix ou son territoire et district, paiera et devra payer pour la valeur de chaque livre le taux de quatre deniers pour la même raison, à savoir sur les trezains et accapts quand elle les reçoit, et pour les autres, à la fête de saint Julien, sous la même peine.
[4] De même, que les nourriguiers de la ville d'Aix et ceux, tant habitants que non habitants de la cité, qui ont du bétail et les bergers qui [...] avec eux [...] des ânes, porcs, [...] chevaux, mulets, moutons à laine et chèvres qui leur appartiennent ou sont étrangers, devront payer pour la même raison, chaque année, ainsi qu'il suit, pour les troupeaux qui demeureront sur une part des pâtures de la cité, et auprès de ses terres libres. Pour chaque tête de bétail lainier ou caprin, deux deniers ; pour chaque tête de bétail équin, bovin, muletier, asnier, douze deniers. Pour chaque tête de bétail porcin, six deniers, sous la même peine. Cependant, ils ne paieront rien sur le croît du troupeau et ne paieront, sur les têtes du bétail vivant, que pour les bêtes âgées d'un an ou plus.
[5] De même, que toute personne qui emportera ou fera emporter les blés ou légumes de toute espèce hors de la cité, à condition toutefois qu'il s'agisse d'un citoyen ou d'un habitant d'Aix, devra payer à la sortie, aux portes, deux deniers par émine de chaque [espèce] emportée qu'elle présentera, sous la même peine.
[6] De même, que toute personne, citoyen ou habitant d'Aix, qui apportera ou fera apporter dans la cité, depuis des lieux situés hors du territoire, de la farine de blé dont elle n'aura pas acquitté la rève à la porte de ladite cité, devra payer pour cette raison deux deniers par émine, sous la même peine.
[7] De même, les merciers, sabotiers, corroyeurs, revendeurs, poissonniers et autres marchands citoyens ou habitants d'Aix paieront pour la même raison et devront payer quatre deniers par livre de valeur de leurs marchandises aux portes de la ville, chaque fois qu'ils apporteront ou déchargeront, introduiront ou feront introduire des marchandises leur appartenant dans la cité d'Aix, sous la même peine. Cependant, les drapiers et les bouchers ne paieront pas [ce droit] ; mais les bouchers devront payer exactement la même somme sur les bêtes qu'ils achètent dans la ville.
[8] De même, les maîtres des fours, les fourniers, les approvisionneurs en bois de chauffage et les commis boulangers paieront et devront payer pour la même raison deux deniers par émine de pain, nécessaire à leur usage et à celui de leurs familles, [cuit au] four – et le péage desdits fours – sous la même peine.
[9] De même, toute personne qui reçoit dans la cité ou son territoire un droit de louage ou une pension annuelle ou à terme, ou une fâcherie sur les hospices, tables, prés, jardins et possessions de toute nature, paiera et devra payer pour cette raison quatre deniers sur les revenus susdits, une fois par an, excepté toutefois sur les fâcheries des blés, pour lesquelles elle paiera cependant trois deniers par livre, sous la même peine.
[10] De même, toute personne qui achète, vend, permute ou donne sans paiement, dans la cité ou son territoire, des fûts de vin, des cuves, du bois d'ouvre, des tuiles, de l'or, de l'argent ou des perles, paiera et devra payer quatre deniers pour chaque livre de leur prix ou de leur valeur, sous la même peine,
[11] De même, toute personne qui vend du vin dans la cité ou son territoire, paiera pour cette raison et devra payer le prix de quatre quartayrons de ce vin et le millerole sera de 52 quartayrons. De même, que personne n'ose vendre du vin dans ladite cité et son territoire sans en avoir été prié d'abord par celui qui sera mandaté à cet effet par le conseil de ladite terre et sans son autorisation, ou après avoir attendu celle-ci pendant une journée entière après la requête, sous la même peine.
[12] De même, on paiera et on devra payer à l'entrée aux portes de la ville, pour les [denrées] mentionnées ci-dessous, les sommes mentionnées et selon la manière indiquée : pour chaque saumée de charbon, un denier ; de même, par centaine d'épées et de meules de foin, un denier ; de même pour chaque saumée de sel, de chaux ou de plâtre, sauf à l'usage des fortifications, un denier ; pour chaque saumée de poissons, deux deniers ; pour chaque bérrée de foin, un denier ; pour chaque pièce de gibier ou d'animal sauvage qui sera emportée hors de la ville pour être vendue, deux deniers ; leurs revendeurs et revendeuses paieront un denier par pièce ; pour chaque agneau ou viande qui sera introduit dans la ville pour y être vendu, sauf pour les bouchers ou pour les personnes qui ont leur bétail dans la ville ainsi qu'il a été mentionné plus haut, deux deniers ; pour chaque saumée de fruits frais qu'on apportera pour vendre, deux deniers ; pour chaque corbeille de ces fruits, un denier ; et pour chaque panier de ces fruits, une obole ; de même, pour chaque saumée de légumes, un denier ; [...] pour chaque douzaine de bottes, un denier ; pour chaque corbeille de légumes ou mesure des maraîchers, une obole ; pour chaque douzaine de bottes d'oignons, un denier ; pour chaque saumée de navets, un denier ; pour chaque terre d'homme ou femme qui [produit] lesdits navets, une obole. Et lorsqu'une personne achète un bien à une autre personne qui, à cause d'une liberté ou pour une autre raison, n'est pas tenue de payer la rève, l'acheteur doit payer la rève qu'aurait payée le vendeur s'il n'avait pas cette liberté. Et inversement, pour toute personne qui vendra quelque chose à une autre personne qui, à cause d'une liberté ou pour une autre cause. n'est pas tenue de payer cette rève, que le vendeur paye la rève exactement comme l'acheteur l'aurait payée s'il n'avait pas cette liberté.
[13] Les domestiques, hommes et femmes, paieront et devront payer sur les salaires qu'ils gagnent dans cette cité, chaque année, quatre deniers par livre, sous la même peine.
[14] Les maîtres avocats, procurateurs, notaires et autres "artistes", sur les gains qu'ils réalisent dans la cité ou son territoire, devront pareillement payer chaque année quatre deniers par livre, sous la même peine.
[15] Les loueurs de quadriges (sic), de charrues et de tout animal paieront quatre deniers par livre sur le loyer [perçu], sous la même peine.
[16] Les autres loueurs paieront par jour un denier pour les hommes, une obole pour les femmes et les enfants, sous la même peine.
[17] Les drapiers paieront et devront payer à l'entrée aux portes quatre florins pour chaque ballot de draps de France, et deux florins pour chaque ballot de draps de Carcassonne, et pour les balles mixtes, ils paieront selon la proportion [de chaque drap].
[18] Les bouchers paieront et devront payer à l'entrée aux portes : pour chaque bœuf, trois sous ; pour chaque vache, deux sous six deniers ; pour chaque veau de lait, seize deniers ; pour chaque veau âgé de plus d'un an ou "louais" de deux ans ou moins, vingt deniers ; pour chaque mouton, quatre deniers ; pour chaque brebis, trois deniers ; pour chaque porc ou bouc castrat, quatre deniers ; pour chaque chèvre, trois deniers ; pour chaque agneau et chevreau, deux deniers.
En vérité, pour manifester une adhésion plus bienveillante aux supplications envoyée par la communauté afin d'imposer et de lever ladite rève selon les termes de la présent autorisation qu'il nous a plu de concéder, nous voulons et nous vous ordonnons donc (nous recommandons expressément à chacun d'entre vous, par l'autorité royale, dans la mesure où nous l'accomplissons, que vous permettiez à ladite communauté, selon notre concession susdite, d'imposer, exiger, percevoir et lever cette rève, conformément à ce qui est contenu dans les chapitres ci-dessus, ceux-ci devant être exhibés par précaution.
Fait à Aix par noble homme Louis marquis de Salernes, chevalier, professeur de droit civil, maître rational de la grande cour royale, juge mage et des appels secondaires desdits comtés, l'an du Seigneur 1375, le 20 mars, 4e indiction.
Signum d'André de Piniaco.

 
 

Noël Coulet, Aix-en-Provence, espace et relations d'une capitale (milieu XIVe - milieu XVe siècle), Lille, 1988, p. 1082-1085. Traduction du latin.