La ville s'individualise aussi par rapport au plat
pays environnant par la barrière d'une enceinte. La guerre et la
fiscalité, facteurs intimement mêlés, ont influencé
profondément la vie quotidienne des citadins, soumis à des
situations très variables. Les habitants des villes avaient moins
à redouter que les paysans pour la vie de leur famille et la destruction
de leurs biens lorsque les hommes d'armes parcouraient le pays. Mais la
sécurité, relativement aisée à organiser grâce
au nombre d'habitants, se payait au prix fort : entraîner une milice
ou loger une garnison d'hommes d'armes, construire un rempart, se faisaient
en général aux frais des citadins, solidaires financièrement
de leur propre sécurité. Le progrès des armements à
la fin du Moyen Âge a accru la charge d'autant plus que nombre de
villes s'étaient développées en agglomérations
ouvertes au cours du XIIIe siècle. La charte de concession de la rève, ou gabelle, sur les produits de consommation, octroyée par le sénéchal de Provence à la ville d'Aix-en-Provence offre, dans cette perspective, trois thèmes majeurs d'intérêt. Elle crée une fiscalité nouvelle, étendue à une gamme très vaste de revenus, et traduit les rapports entre les autorités consulaires d'Aix et une administration royale. L'accord de celle-ci était indispensable, touchant le domaine essentiel de la défense et de la protection des sujets ; en déléguant la responsabilité de la fortification à la communauté des habitants, elle allège considérablement ses obligations financières. En effet, la capitale du comté de Provence subit depuis quinze ans une situation de guerre civile très dure, évoquée dans le préambule : à la "guerre des sénéchaux" de 1347-1352 a succédé la "guerre des Baux" déclenchée en 1357 et qui devait durer vingt ans, rendue plus meurtrière par le passage des compagnies et les ambitions de Jean d'Armagnac. La communauté d'Aix a entrepris, à partir de 1352, d'élever une enceinte (en commençant par les portes) autour de la ville qui en était dépourvue, à l'exception de la cité épiscopale proprement dite. Une première gabelle levée sur la consommation alimentaire (pain, vin, viande) en 1352 n'a pas suffi. L'acte de 1366 établit donc, c'est son second intérêt, une contribution exceptionnelle à laquelle la quasi-totalité de la population urbaine (mendiants compris !) est sollicitée de participer. Sont successivement imposés dans ces articles les revenus fonciers et immobiliers, le cheptel, l'alimentation, et plus généralement les gains commerciaux et les revenus professionnels. La perception de la rève est affermée aux enchères : le système fondé sur la consommation garantit la sécurité du remboursement du fermier, un notable de la ville, marchand ou notaire, et épargne relativement les revenus fonciers et immobiliers et le capital des mêmes notables. Le choix fiscal vaut un document instructif sur la diversité des métiers qui assurent l'existence d'une population urbaine importante (environ 10 000 habitants), mais dont l'activité n'est en rien comparable aux grandes cités marchandes des Flandres ou d'Italie. La ville vit essentiellement de l'économie des campagnes proches, pour le ravitaillement, ou plus lointaines, grâce à un fort développement de l'élevage lainier et de l'élevage de boucherie. Mais aucune activité locale de tissage n'est mentionnée, et la ville importe des draps "de France", sans doute flamands, achetés aux foires de Champagne, ou du Languedoc. Les métiers artisanaux sont en partie liés au commerce du vin, assez actif ; il y a tout de même des marchands de métaux précieux, quelques orfèvres, mais les liens avec le commerce marseillais sont limités. Hommes de loi et notaires, gros propriétaires éleveurs qui commercent les produits de leurs troupeaux, composent le milieu dirigeant d'une ville très profondément insérée dans les relations économiques avec la campagne. |
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Raymond d'Agoult, chevalier, sénéchal
des comtés de Provence et de Forcalquier, aux officiers royaux
de la cour de la cité d'Aix auxquels parviendront les présentes
et qui les liront, et à leurs lieutenants respectifs présents
et futurs, salut. De la part de l'université des hommes de cette
cité, parce que l'argent de ladite communauté est épuisé
par diverses dépenses faites et subies à cause de la nécessité
des temps passés et [qu'elle] ne peut à présent se
consacrer à sa fortification, nous fûmes à nouveau
sollicité jusqu'à ce jour de daigner leur concéder
avec bienveillance l'imposition d'une rève et de la convertir pour
la construction de ladite fortification, pour la durée qu'il plaira
au bon vouloir du roi, ou de nous-même et du conseil de la communauté,
à savoir : |
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Noël Coulet, Aix-en-Provence, espace et relations d'une capitale (milieu XIVe - milieu XVe siècle), Lille, 1988, p. 1082-1085. Traduction du latin. |
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