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L'Enfant Jésus |
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L'affinement du sentiment médiéval
de l'enfance tient beaucoup au culte de l'Enfant Jésus. Dans ce
domaine, l'influence des textes monastiques et l'évolution des
représentations de la Nativité, de plus en plus humanisées,
ont sans doute joué un grand rôle. Dès le XIIe
siècle, les clercs et les pédagogues insistent sur le caractère
"doux et innocent" de l'Enfant Jésus. Le cistercien Aelred
de Rievaulx, maître de novices puis abbé de Rievaulx (Bedfordshire),
compose en 1143 un traité intitulé Quand Jésus
eut douze ans, dans lequel il imagine ce que furent les premières
années du Christ. Il est le premier à faire de Jésus
un enfant gâté et choyé par une mère toute
à sa dévotion.
Le culte des saints innocents et, à la même date, le culte
marial grandissant connaissent un large écho auprès des
pédagogues. Au XIIIe siècle, Raymond
Lulle, auteur d'un livre didactique intitulé Doctrine d'enfant,
conseille à ses lecteurs de voir la Vierge à l'Enfant dans
toute pauvre femme tenant un enfant dans ses bras. De même au XVe
siècle, les fidèles s'identifient volontiers à saint
Joseph, pour les hommes, ou aux servantes de la Sainte Famille pour les
femmes. À cette date, on ne représente plus l'Enfant Jésus
qu'en vrai bébé, rond, potelé, blond et bouclé.
Seul le nimbe cruciforme le distingue encore d'un enfant ordinaire. Ce
faisant, et imperceptiblement, est mise en valeur l'enfance réelle,
et non pas seulement celle de Jésus. La valorisation de la petite
enfance est un phénomène dès lors totalement accompli.
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Un tendre attachement
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Aucun homme médiéval
ne doute des capacités des familles de son temps à aimer
leurs enfants ; au contraire, on craint qu'elles ne les aiment trop.
Philippe de Novare, dans Les Quatre Âges de l'homme, traité
didactique composé au XIIIe siècle,
l'explique clairement : "L'amour de ceux qui élèvent
les enfants croît à mesure que ceux-ci grandissent. Mais
qu'ils y prennent garde, il ne faut pas faire sans examen la volonté
des enfants." Tous les pédagogues fustigent l'attitude des
parents trop tendres et si coulants qu'ils laissent leurs enfants faire
ce qu'ils veulent. |
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Légitimes ou bâtards
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Les enfants sont considérés comme une
richesse matérielle et psychologique pour les familles. Malgré
leur fragilité et le risque de les perdre, les parents n'ont pas
crainte de s'attacher à eux et n'attendent pas qu'ils aient grandi
pour les prendre en considération, comme on l'a cru à tort
à la suite de l'historien Philippe Ariès. Même les
enfants bâtards peuvent être appréciés et aimés,
surtout dans l'aristocratie il est vrai et s'ils sont issus des aventures
extraconjugales du père ; nés des amours adultères
de la mère, ces enfants du péché sont le plus souvent
rejetés, y compris dans les familles rurales où ils pourraient
pourtant constituer une force de travail utile.
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Garçons
et filles |
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À terme, garçons et filles
sont autant aimés les uns que les autres, bien que les parents préfèrent
à l'évidence avoir un fils comme premier-né. C'est
là le résultat d'une organisation sociale qui pousse, en certains
lieux, à privilégier juridiquement l'aîné par
le principe de la primogéniture et partout à magnifier la
force de travail où le garçon s'avère supérieur
à la fille. Néanmoins, les filles sont vivement appréciées
pour leur fidélité à leurs parents, leurs qualités
morales, mais aussi physiques : les parents n'hésitent pas à
les baptiser Belle, Douce, Bonne ou Gaillarde (travailleuse). Elles sont
loin d'être toutes défavorisées par les systèmes
juridiques d'héritage. Certaines régions de France et d'Europe
partagent également entre frères et surs les biens des
parents décédés. Ailleurs, elles reçoivent une
dot, qui sera gérée par l'époux mais qui leur reviendra,
ou à leurs parents, si le mariage est dissous par la mort du mari.
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Jusque dans la mort
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L'amour que les parents portent à
leurs enfants est particulièrement sensible lorsque ces derniers
viennent à décéder : les pères vont jusqu'à
déménager et à fermer la maison pendant plusieurs mois
pour tenter d'oublier, les femmes pleurent des jours durant
"Il
est fou celui qui s'efforce d'empêcher la mère de pleurer la
mort de son enfant jusqu'à ce qu'elle soit bien vidée de ses
larmes et soûlée de pleurer", écrit un grand bourgeois
parisien à la fin du XIVe siècle.
"Alors seulement il est temps de la réconforter et d'adoucir
sa douleur par de douces paroles." |
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L'inhumation |
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Les enfants, choyés jusque dans
la mort, sont inhumés avec un soin particulier. Les cimetières
des villes sont peuplés de leurs dépouilles, et les archéologues
retrouvent aujourd'hui leurs squelettes par centaines. Les plus jeunes
sont enterrés aux places les plus saintes de l'église du
quartier (sous le baptistère, dans les fondations
), les plus
âgés sont inhumés "sous la gouttière",
c'est-à-dire à l'aplomb de la toiture de l'église
paroissiale, pour que leur corps soit perpétuellement baigné
de l'eau sanctifiée qui ruisselle du toit. Les autres sont regroupés
sous le parvis, dont le nom latin, paradisius, dit assez à
quel point on souhaite ainsi les placer au plus près de Dieu. Quant
aux ftus, de minuscules tombes étaient parfois creusées
dans les fondations mêmes des églises ou dans les conduites
d'eau des baptistères afin que leur dépouille baigne dans
l'eau bénite jusqu'à la fin des temps. |
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Les limbes |
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Seuls les enfants n'ayant pas eu le temps de recevoir
le baptême sont exclus du cimetière et de l'espérance
du paradis, puisque rejetés en enfer. À partir des XIe-XIIe
siècles, les parents sont si anxieux à l'idée de
ce sort abominable qu'est inventé un nouveau lieu : les "limbes
des enfants". Bien que privés à tout jamais de l'espoir
de la vision béatifique de Dieu, les petits défunts passent
au moins l'éternité sans souffrir, immobiles, les yeux clos
Parallèlement, sous l'effet de l'angoisse parentale, se développent
les "sanctuaires à répit" : les enfants morts
à la naissance y sont exposés le temps qu'on reconnaisse
en eux un signe de vie autorisant le baptême. Étaient admis
tout mouvement réflexe, toute émission d'humeur : on
parvenait presque toujours au miracle
Nombre d'églises se
spécialisèrent dans les miracles d'enfants.
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