Le pèlerinage

À l'arrière-plan de la rue centrale qui occupe le cœur de l'image, à la jonction avec la carte du monde, les habitants de la cité sont agenouillés en prière, sur le point de partir en pèlerinage : disposés en deux demi-cercles, les hommes sont à gauche et les femme à droite. Un espace central est laissé libre, par lequel le regard s'insinue jusqu'à la carte de la Méditerranée, incitant le lecteur de l'image à entreprendre le saint voyage. Un frère mendiant a donné l'exemple : plus en avant sur la gauche, un chapelet à la main, agenouillé et en prière, il regarde déjà vers la rive opposée de la Méditerranée. Les habitants méritants ont obéi à toutes les prescriptions ; ils sont couronnés par les anges. Il ne leur reste que la dernière étape à accomplir pour gagner leur salut : le voyage outre-mer. Leur groupe s'entrouvre sur la perspective de leur première étape : la ville de Venise, surdimensionnée, d'où ils s'embarqueront pour la Terre sainte. Pour le laïc, le pèlerinage est une "épreuve spirituelle", sans nul doute la plus importante de toutes, mais aussi une épreuve physique. Le couronnement par les anges augure la difficulté du voyage et le risque de mort – de martyre – qu'il encourt.

 

     
 

 

L'image s'achève comme une carte de géographie, représentant la Méditerranée vue d'Italie. Elle étend son horizon, jusqu'à la courbure du monde. On distingue autour de la mer Méditerranée, la botte de l'Italie, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, la Crète, les îles de Rhodes et de Chypre, et sur l'autre rive, l'Égypte (avec la ville d'Alexandrie) jusqu'aux sources du Nil qui se perdent dans une nuée parce qu'on en ignore la localisation exacte et enfin la Terre sainte, avec les villes de Damas et de Jérusalem, ainsi que le mont Sinaï, lieu de pèlerinage mythique, quoique peu visité car difficile d'accès. Juste à côté du mont Sinaï, sur le mont Horeb, on aperçoit Moïse recevant les Tables de la Loi des mains de Dieu, minuscule figure émergeant d'une nuée, au-dessus de la silhouette agenouillée. Les villes et les îles mentionnées sur cette carte – Venise, Gênes, Lucques, Florence, Rome, Naples, Rhodes, Chypre, Alexandrie, Damas, Jérusalem, etc. – renvoient à l'activité de cartographe de l'artiste ; elles sont aussi les étapes privilégiées du voyage à Jérusalem pour les pèlerins italiens, à l'époque même où travaille le graveur.

 

 

 

Le message de cette carte est clair : la parole de Dieu doit pénétrer les pays restés sous domination islamique et aucun effort, notamment financier, ne doit être épargné pour atteindre ce but. Les pèlerins à qui l'on paye le voyage sont, comme les prédicateurs, des exemples vivants de la foi chrétienne imposée aux populations musulmanes. En cette période d'expansion turque en Méditerranée, alors que le pape vient d'appeler les princes chrétiens à se mobiliser, c'est au pèlerinage outre-mer, à la croisade demandée par le Christ, que l'image fait ici une claire allusion.