Honoré de Balzac (1799-1850), auteur ; Marescq et Cie, éditeur, Paris, 1851-1853.
8 vol. : fig. ; in-4
Situé dans la pension de famille Vauquer,
Le Père Goriot met en scène deux personnages dont les trajectoires se croisent. Jean-Joachim Goriot, petit-bourgeois de soixante-dix ans, se ruine pour l’amour de ses deux filles, devenues des femmes du monde par leurs mariages. Ingrates, elles le laissent mourir seul et sans argent. Eugène de Rastignac, un jeune noble de province, monte à Paris pour essayer de se faire une place dans la bonne société. Mais il perd ses illusions lorsqu’il découvre la violence des rapports humains.
Dans ce roman, Balzac réalise des descriptions très vivantes de ses personnages et parvient à créer de véritables types sociaux qui perdureront. Ainsi, le personnage de Rastignac devient l’archétype du jeune ambitieux. Ce roman inaugure également le principe de composition de
La Comédie humaine : le retour des personnages.
« Madame Vauquer, née de Conflans, est une vieille femme qui, depuis quarante ans, tient à Paris une pension bourgeoise établie rue Neuve-Sainte-Geneviève, entre le quartier latin et le faubourg Saint-Marcel. Cette pension, connue sous le nom de la maison Vauquer, admet également des hommes et des femmes, des jeunes gens et des vieillards, sans que jamais la médisance ait attaqué les mœurs de ce respectable établissement. Mais aussi, depuis trente ans, ne s’y était-il jamais vu de jeune personne, et, pour qu’un jeune homme y demeure, sa famille doit-elle lui faire une bien maigre pension. Néanmoins, en 1819, époque à laquelle ce drame commence, il s’y trouvait une pauvre jeune fille. En quelque discrédit que soit tombé le mot drame par la manière abusive et tortionnaire dont il a été prodigué dans ces temps de douloureuse littérature, il est nécessaire de l’employer ici : non que cette histoire soit dramatique dans le sens vrai du mot ; mais, l’œuvre accomplie, peut-être aura-t-on versé quelques larmes intra-muros et extra. Sera-t-elle comprise au-delà de Paris ? Le doute est permis. Les particularités de cette Scène pleine d’observations et de couleur locale ne peuvent être appréciées qu’entre les buttes Montmartre et les hauteurs de Montrouge, dans cette illustre vallée de plâtras incessamment près de tomber et de ruisseaux noirs de boue ; vallée remplie de souffrances réelles, de joies souvent fausses, et si terriblement agitée, qu’il faut je ne sais quoi d’exorbitant pour y produire une sensation de quelque durée. Cependant il s’y rencontre çà et là des douleurs que l’agglomération des vices et des vertus rend grandes et solennelles : à leur aspect, les égoïsmes, les intérêts s’arrêtent et s’apitoient ; mais l’impression qu’ils en reçoivent est comme un fruit savoureux promptement dévoré. Le char de la civilisation, semblable à celui de l’idole de Jaggernat, à peine retardé par un cœur moins facile à broyer que les autres et qui enraie sa roue, l’a brisé bientôt et continue sa marche glorieuse. Ainsi ferez-vous, vous qui tenez ce livre d’une main blanche, vous qui vous enfoncez dans un moelleux fauteuil en vous disant : "Peut-être ceci va-t-il m’amuser." Après avoir lu les secrètes infortunes du père Goriot, vous dînerez avec appétit en mettant votre insensibilité sur le compte de l’auteur, en le taxant d’exagération, en l’accusant de poésie. Ah ! sachez-le : ce drame n’est ni une fiction ni un roman.
All is true, il est si véritable, que chacun peut en reconnaître les éléments chez soi, dans son cœur peut-être. »
Honoré de Balzac,
Le Père Goriot, 1834.
>Texte intégral dans Gallica : Furne, Paris, 1842-1848