La prise de Jérusalem vue par Ibn al-Athîr
   
 

Ibn al-Athîr (1160-1233), originaire de Mossoul, historien, écrivit une grande histoire générale du monde musulman, la Somme des histoires. Il fut un témoin oculaire de l'histoire des croisades.

 

 
  • Le récit de la prise de Jérusalem par Ibn al-Athîr est-il en contradiction avec le récit du chrétien Guillaume de Tyr ?
  • D'après Ibn al-Athîr, comment s'explique la prise de Jérusalem ?
  • Relever les faits qui, dans le comportement des Francs, choquent le plus Ibn al-Athîr ?

 



Les Francs, qui avaient essayé sans succès de prendre la ville d'Acre, se portèrent vers Jérusalem et l'assiégèrent pendant plus de quarante jours. Ils élevèrent deux tours contre la ville, l'une était du côté de la montagne de Sion 1. Les musulmans y mirent le feu et tuèrent tous les chrétiens qui s'y trouvaient. Mais au moment où la tour finissait de brûler, un homme accourut pour leur annoncer que la ville venait d'être envahie du côté opposé.
La Ville sainte fut prise du côté du nord, dans la matinée du vendredi 22 du mois de Shaban [15 juillet]. Aussitôt la foule prit la fuite. Les Francs restèrent une semaine dans la ville, occupés à massacrer les musulmans. Une troupe de musulmans s'était retirée dans le mirhab de David 2, et s'y était fortifiée. Elle se défendit pendant trois jours. Les Francs ayant offert de les recevoir à capitulation, ils se rendirent et eurent la vie sauve ; on leur permit de sortir pendant la nuit et ils se retirèrent à Ascalon.
Les Francs massacrèrent plus de 70 000 musulmans dans la mosquée al-Aqsâ 3 : parmi eux on remarquait un grand nombre d'imams, de savants, et de personnes d'une vie pieuse et mortifiée - qui avaient quitté leur patrie pour venir prier dans ce noble lieu.
Les Francs enlevèrent d'al-Sakra 4 plus de quarante lampes d'argent, chacune du poids de 3 000 dirhams. Ils y prirent aussi un grand lampadaire d'argent qui pesait 40 ratls 5 de Syrie, ainsi que 150 lampes d'une moindre valeur. Le butin fait par les Francs était immense.
Les personnes qui avaient quitté la Syrie arrivèrent à Bagdad au mois du Ramadân [fin juillet-début août] avec le cadi Abû sa'd. Elles se présentèrent au diwân 6 et y firent un récit qui arracha des larmes de tous les yeux. La douleur était dans les cœurs. Ces personnes, le vendredi qui suivit leur arrivée, restèrent dans la grande mosquée, invoquant la miséricorde divine. Elles pleuraient, et le peuple entier pleurait avec elles ; elles racontèrent les malheurs qui avaient frappé les musulmans de nobles et vastes contrées : le massacre des hommes, l'enlèvement des femmes et des enfants, et le pillage des propriétés. Telle était la douleur générale qu'on ne songea plus à l'observation du jeûne [...].
Les princes n'étaient pas d'accord ensemble. Voilà pourquoi les Francs se rendirent maîtres du pays.

Ibn al-Athîr, Kamel-Altevarykh, présenté et traduit dans Recueil des historiens des croisades, historiens orientaux, t. I, Paris, Imprimerie nationale, 1872, pp. 197-201.

 

 

Notes
 

 

  1. Au sud de la ville. C'est là que les croisés de Raymond de Saint-Gilles étaient massés.
  2. Oratoire de la tour de David, c'est-à-dire la Citadelle de Jérusalem.
  3. La mosquée d'al-Aqsâ. Jérusalem, troisième Ville sainte de l'islam, n'avait pas le même prestige que La Mecque et Médine.
  4. La Coupole du Rocher est célèbre pour sa coupole dorée qui abrite le rocher d'où Mahomet s'élança pour son Voyage nocturne.
  5. Le dirham, unité monétaire d'argent.
  6. Diwân désigne sous le califat abbasside les différents services de gouvernement (finances, chancellerie, etc.).

 

 

sommaire