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Au Seigneur pape de
l'Église de Rome, à tous les évêques et à
tous les fidèles de la foi chrétienne, moi, archevêque
de Pise, avec les autres évêques, le duc Godefroi par la
grâce de Dieu aujourd'hui avoué du Saint-Sépulcre,
Raymond comte de Saint-Gilles et toute l'armée de Dieu aujourd'hui
en terre d'Israël, salut et prières. Multipliez hymnes et
prières, riez et dansez devant le Seigneur, car Dieu a exalté
Sa miséricorde, en accomplissant en nous ce qu'Il avait promis
dans les temps anciens. Après avoir pris Nicée, l'armée
entière a poursuivi son chemin, avec plus de trois cent mille hommes
d'armes. Cette multitude pouvait occuper tout l'Empire grec, en un seul
jour boire l'eau de tous les fleuves et labourer tous les champs, et pourtant
le Seigneur l'a menée dans une telle abondance qu'on achetait un
bélier pour un sou à peine ou un buf pour douze. En
outre les princes et les rois des Sarrasins se sont levés contre
nous, mais par la volonté de Dieu ils ont été aisément
vaincus et écrasés. Après tous ces bonheurs, Dieu
a voulu punir les orgueilleux et a mis sur notre route Antioche, une ville
imprenable par les moyens humains. Il nous a retenus neuf mois à
ce siège, Il nous a humiliés en nous laissant encercler jusqu'à
ce que soit ravalée l'enflure de notre superbe. Nous étions
donc abaissés jusqu'à ne plus pouvoir trouver dans l'armée
entière une centaine de bons chevaux. Alors Dieu nous ouvrit les
trésors de Sa bénédiction et de Sa miséricorde.
Il nous introduisit dans la cité, remit à notre pouvoir
les Turcs et tous leurs biens. Peut-être avons-nous attribué
cette conquête à nos seuls mérites, peut-être
n'avons-nous pas exalté assez dignement le Dieu qui nous l'avait
octroyée : nous avons donc été assiégés
par un nombre si grand de Sarrasins que nul n'osait plus sortir de la
cité. La faim s'étendait dans la ville, c'était à
peine si on se retenait de manger la chair humaine. Mais il serait trop
long de raconter les misères qu'on souffrit dans la cité.
Le Seigneur regarda son peuple, et Il a consolé ceux qu'Il avait
si longtemps tourmentés. [
] Il a infusé la force de
prendre les armes et de combattre valeureusement. Nous avons triomphé
des ennemis, mais la faim et l'inaction ont ensuite affaibli l'armée
à Antioche. Nous sommes repartis pour la Syrie, surtout à
cause des disputes entre les princes, nous avons pris de force les villes
sarrasines d'al-Bara et Ma'arrat et conquis les châteaux de la région.
Nous nous disposions à attendre là, mais telle fut la famine
dans l'armée que les chrétiens mangeaient les cadavres en
cours de décomposition des Sarrasins. Ensuite, comme sur un avertissement
du Seigneur, nous avons avancé jusqu'en Perse, nous avons eu avec
nous la main très généreuse, miséricordieuse
et victorieuse du Père tout-puissant. Les bourgeois et les châtelains
de la région où nous progressions nous envoyaient des messagers
chargés de cadeaux, ils se montraient prêts à servir
et à rendre leurs places fortes. Mais parce que notre armée
n'était plus nombreuse et que tous étaient pressés
d'arriver à Jérusalem, nous avons accepté des garanties
et nous les avons soumis à tribut. Alors que chacune des nombreuses
cités qui sont sur ces rivages maritimes avait plus d'habitants
qu'il n'y en a dans notre armée, les exemples d'Antioche, Laodicée
et Rohas nous montraient que la main du Seigneur était avec nous
; nombre de ceux de l'armée qui étaient restés là-bas
nous rejoignirent donc à Tyr. Ainsi Dieu était notre guide
et uvrait avec nous, et nous sommes arrivés devant Jérusalem.
Lors du siège de la Cité, l'armée a beaucoup souffert,
surtout du manque d'eau. Nous avons alors tenu un conseil : les évêques
et les princes ont fait annoncer qu'on ferait en procession le tour de
la ville pieds nus, pour que Celui qui pour nous y fit son entrée
en toute humilité, devant notre humilité envers Lui, l'ouvre
à nous pour procéder au jugement de ses ennemis. Le Seigneur
agréa notre humilité. Huit jours après notre geste
d'humiliation, Il nous a livré la cité avec ses ennemis,
l'anniversaire même de ce jour où l'Église primitive
en fut expulsée et où de nombreux fidèles célèbrent
la fête de la Dispersion des Apôtres. Et si vous voulez savoir
ce qu'on fit des ennemis qu'on trouva ici, sachez que, sous le portique
de Salomon et dans son Temple, les nôtres chevauchaient dans le
sang des Sarrasins jusqu'aux genoux des chevaux
[Suit la longue
narration de l'ultime bataille de 1099, à Ascalon].
G. Lobrichon,
1099, Jérusalem conquise,
Le Seuil, Paris, 1998.
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