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C'était le sixième
jour de la semaine et la neuvième heure de la journée. Il
semble que ce moment fut choisi par Dieu même, puisque à
pareil jour et à pareille heure, le Seigneur avait souffert dans
la même ville pour le salut du monde [
]
Le duc [Godefroy de Bouillon] et tous ceux qui étaient entrés
avec lui s'étant réunis, couverts de leurs casques et de
leurs boucliers, parcouraient les rues et les places, le glaive nu, frappant
indistinctement tous les ennemis qui s'offraient à leurs coups,
et n'épargnant ni l'âge ni le rang. On voyait tomber de tous
côtés de nouvelles victimes, les têtes détachées
des corps s'amoncelaient çà et là, et déjà
l'on ne pouvait passer dans les rues qu'à travers des monceaux
de cadavres [
]
Dès qu'ils furent parvenus sur les remparts, ils allèrent
ouvrir la porte du Midi, qui se trouvait près de là, et
tout le peuple chrétien pénétra facilement par ce
nouveau côté. L'illustre et vaillant comte de Toulouse entra
dans la place [
]
Les autres princes, après avoir mis à mort dans les divers
quartiers de la ville tous ceux qu'ils rencontraient sous leurs pas, ayant
appris qu'une grande partie du peuple s'était réfugiée
derrière les remparts du Temple, y coururent tous ensemble, conduisant
à leur suite une immense multitude de cavaliers et de fantassins,
frappant de leurs glaives tous ceux qui se présentaient, ne faisant
grâce à personne, et inondant la place du sang des infidèles.
Ils accomplirent ainsi les justes décrets de Dieu, afin que ceux
qui avaient profané le sanctuaire du Seigneur par leurs actes superstitieux,
le rendant dès lors étranger au peuple fidèle, le
purifiassent à leur tour par leur propre sang, et subissent la
mort dans ce lieu même en expiation de leurs crimes. On ne pouvait
voir cependant sans horreur cette multitude de morts, ces membres épars
jonchant la terre de tous côtés, et ces flots de sang inondant
la surface du sol [
]. On dit qu'il périt dans l'enceinte
même du Temple environ dix mille ennemis sans compter tous ceux
qui avaient été tués de tous côtés [
].
Chacun s'emparait à titre de propriété perpétuelle
de la maison dans laquelle il était entré de vive force
et de tout ce qu'il y trouvait ; car avant même qu'ils se fussent
emparés de la ville, les croisés étaient convenus
entre eux qu'aussitôt qu'ils s'en seraient rendus maîtres,
tout ce que chacun pourrait prendre pour son compte lui serait acquis,
et qu'il le posséderait à jamais et sans trouble en toute
propriété. Après ces premières dispositions,
les princes déposèrent les armes, changèrent de vêtements,
purifièrent leurs mains, et, marchant pieds nus, le cœur rempli
d'humilité et de contrition, ils se mirent en devoir de la plus
grande dévotion, poussant des gémissements, versant des
larmes, embrassant tous les objets de leurs pieux hommages et élevant
vers le ciel leurs profonds soupirs.
D'après
Guillaume de Tyr (XIIe siècle).
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