La prise de Jérusalem vue par Guillaume de Tyr
   
 

Guillaume de Tyr, clerc né vers 1130 à Jérusalem, devient archevêque de Tyr en 1175 et chancelier du royaume de Jérusalem où il meurt en 1184. Il a écrit l'une des plus grandes œuvres historiques du XIIe siècle. Comprenant l'arabe, il a rédigé d'après les sources arabes une histoire de l'Orient latin depuis sa conquête par les croisés jusqu'en 1183.

 
  • En quoi le récit de Guillaume de Tyr corrobore-t-il le texte de saint Bernard ?

 



C'était le sixième jour de la semaine et la neuvième heure de la journée. Il semble que ce moment fut choisi par Dieu même, puisque à pareil jour et à pareille heure, le Seigneur avait souffert dans la même ville pour le salut du monde […]
Le duc [Godefroy de Bouillon] et tous ceux qui étaient entrés avec lui s'étant réunis, couverts de leurs casques et de leurs boucliers, parcouraient les rues et les places, le glaive nu, frappant indistinctement tous les ennemis qui s'offraient à leurs coups, et n'épargnant ni l'âge ni le rang. On voyait tomber de tous côtés de nouvelles victimes, les têtes détachées des corps s'amoncelaient çà et là, et déjà l'on ne pouvait passer dans les rues qu'à travers des monceaux de cadavres […]
Dès qu'ils furent parvenus sur les remparts, ils allèrent ouvrir la porte du Midi, qui se trouvait près de là, et tout le peuple chrétien pénétra facilement par ce nouveau côté. L'illustre et vaillant comte de Toulouse entra dans la place […]
Les autres princes, après avoir mis à mort dans les divers quartiers de la ville tous ceux qu'ils rencontraient sous leurs pas, ayant appris qu'une grande partie du peuple s'était réfugiée derrière les remparts du Temple, y coururent tous ensemble, conduisant à leur suite une immense multitude de cavaliers et de fantassins, frappant de leurs glaives tous ceux qui se présentaient, ne faisant grâce à personne, et inondant la place du sang des infidèles. Ils accomplirent ainsi les justes décrets de Dieu, afin que ceux qui avaient profané le sanctuaire du Seigneur par leurs actes superstitieux, le rendant dès lors étranger au peuple fidèle, le purifiassent à leur tour par leur propre sang, et subissent la mort dans ce lieu même en expiation de leurs crimes. On ne pouvait voir cependant sans horreur cette multitude de morts, ces membres épars jonchant la terre de tous côtés, et ces flots de sang inondant la surface du sol […]. On dit qu'il périt dans l'enceinte même du Temple environ dix mille ennemis sans compter tous ceux qui avaient été tués de tous côtés […].
Chacun s'emparait à titre de propriété perpétuelle de la maison dans laquelle il était entré de vive force et de tout ce qu'il y trouvait ; car avant même qu'ils se fussent emparés de la ville, les croisés étaient convenus entre eux qu'aussitôt qu'ils s'en seraient rendus maîtres, tout ce que chacun pourrait prendre pour son compte lui serait acquis, et qu'il le posséderait à jamais et sans trouble en toute propriété. Après ces premières dispositions, les princes déposèrent les armes, changèrent de vêtements, purifièrent leurs mains, et, marchant pieds nus, le cœur rempli d'humilité et de contrition, ils se mirent en devoir de la plus grande dévotion, poussant des gémissements, versant des larmes, embrassant tous les objets de leurs pieux hommages et élevant vers le ciel leurs profonds soupirs.

D'après Guillaume de Tyr (XIIe siècle).

 

 

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