Ibn Battûta, extrait de Voyages
   


Du Nil d'Égypte

Le Nil d'Égypte l'emporte sur tous les fleuves de la terre par la douceur de ses eaux, la vaste étendue de son cours et sa grande utilité [pour les populations riveraines]. Les villes et les villages se succèdent avec ordre le long de ses rivages. Ils n'ont vraiment pas leurs pareils dans toute la terre habitée. On ne connaît pas un fleuve dont les rives soient aussi bien cultivées que celles du Nil. Aucun autre fleuve ne porte le nom de mer. Dieu très haut a dit : "Lorsque tu craindras pour lui, jette-le dans la mer." Dans ces mots, il a appelé le Nil Yemm, ce qui veut dire la même chose que bahr (mer). On lit dans la tradition véridique que le Prophète de Dieu arriva, lors de son voyage nocturne, au Lotus placé à l'extrême limite du Paradis, et qu'il vit sortir de ses racines quatre fleuves, dont deux jaillissaient à l'extérieur et deux restaient à l'intérieur. Il interrogea là-dessus Gabriel, qui lui répondit : "Quant aux deux fleuves intérieurs, ils coulent dans le Paradis, mais pour les deux fleuves extérieurs ce sont le Nil et l'Euphrate." On lit aussi dans la tradition que le Nil, l'Euphrate, le Seïhân et le Djeïhân, sont tous au nombre des fleuves du Paradis. Le cours du Nil se dirige du midi au nord, contrairement à celui de tous les autres fleuves. Une des particularités merveilleuses qu'il présente, c'est que le commencement de sa crue a lieu pendant les grandes chaleurs, lorsque les rivières décroissent et se dessèchent ; et le commencement de la diminution de ses eaux coïncide avec la crue et les débordements des autres fleuves. Le fleuve du Sind lui ressemble en cela, ainsi que nous le dirons ci-après. Le premier commencement de la crue du Nil a lieu au mois de hazîrân, qui est le même que celui de juin. Lorsqu'elle atteint seize coudées, l'impôt territorial prélevé par le sultan est acquitté intégralement. Si le Nil dépasse ce chiffre d'une seule coudée, l'année est fertile et le bien-être complet. Mais, s'il parvient à dix-huit coudées, il cause du dommage aux métairies et amène des maladies épidémiques. Si, au contraire, il reste, ne fût-ce que d'une coudée, au-dessous de seize coudées, l'impôt territorial décroît. S'il s'en faut de deux coudées qu'il atteigne ce dernier chiffre, les populations implorent de la pluie, et le dommage est considérable. Le Nil est un des cinq plus grands fleuves du monde, qui sont : le Nil, l'Euphrate, le Tigre, le Seïhoûn et le Djeïhoûn. Cinq autres fleuves leur ressemblent sous ce rapport, savoir : le fleuve du Sind, que l'on appelle Bendj âb ; le fleuve de l'Inde, que l'on appelle Canc, où les Indiens vont en pèlerinage, et dans lequel ils jettent les cendres de leurs morts, car ils prétendent qu'il sort du Paradis ; le fleuve Djoûn, qui se trouve aussi dans l'Inde ; le fleuve Etel, qui arrose les steppes du Kifdjak et sur les bords duquel est la ville de Séra ; et le fleuve Sarou, dans le Khitha, sur la rive duquel s'élève la ville de Khân Bâlik, d'où il descend jusqu'à la ville de Khinsa, puis jusqu'à la ville de Zeïtoun, en Chine. Toutes ces localités seront mentionnées en leur lieu, s'il plaît à Dieu. À quelque distance du Caire, le Nil se partage en trois branches, dont aucune ne peut être traversée qu'en bateau, hiver comme été. Les habitants de chaque ville ont des canaux dérivés du Nil. Lorsque ce fleuve est dans sa crue, il remplit ces canaux, et ils se répandent alors sur les champs ensemencés.

Voyages, XIVe siècle (La Découverte/Poche, traduction
de C. Defremery et B.R. Sanguinetti (1858), 1982, tome I

("De l'Afrique du Nord à La Mecque"), p 127-130).

   
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