Al-Idrîsî, extrait de la Géographie
   



Dans l'ensemble, l'Égypte est prospère, on y trouve quantité de comestibles, de boissons et de beaux habits. Sa population aime le confort, l'élégance parfaite et la douceur. Elle est de tous côtés entourée de vergers, de jardins, d'arbres fruitiers, de palmeraies, de canne à sucre, le tout arrosé par les eaux du Nil qui est entouré de champs cultivés depuis Assouan jusqu'à Alexandrie. L'eau reste sur les terres dans la campagne depuis le commencement des chaleurs jusqu'à l'automne ; alors les eaux sont absorbées par la terre ; on ensemence des champs, et l'on n'a plus besoin de les arroser. Il ne tombe en Égypte ni pluie ni neige, et, à l'exception du Fayoum, il n'y a point dans ce pays de ville où l'on voie de l'eau courante qui reste sans emploi.
Le Nil coule, en général, vers le nord, et la mise en culture sur ses rives est, depuis Assouan jusqu'à Fostat, large d'une demie à une journée. Ensuite, cet espace s'agrandit et cette largeur, depuis Alexandrie jusqu'à al-Hawf, où la mise en valeur atteint la mer Rouge, devient de huit jours de large. Sur les rives du Nil, il n'y a pas de lieu désert, tout y est mis en valeur par des jardins, des arbres, des villages, des villes, des habitants et des marchés où le commerce est actif. L'espace compris entre les deux extrémités du fleuve est, s'il en faut croire divers auteurs, de cinq mille six cent trente-quatre milles. La longueur de son cours, d'après l'auteur du Khazanât, est de quatre mille cinq cent quatre-vingt-quinze milles. Quant à sa largeur, elle est, en Nubie et en Abyssinie, de moins de trois milles, et en Égypte, de trois milles. C'est un fleuve auquel nul autre ne peut être comparé.
Quant à l'île en face de Misr, dont nous avons déjà indiqué les édifices, les lieux de repos et la maison du nilomètre, elle s'étend, en largeur, entre les deux branches du Nil, d'est en ouest, tandis que sa longueur va du sud au nord. La partie supérieure, où est localisé le nilomètre, est large ; la partie médiane est encore plus large, tandis que la partie inférieure l'est peu. La longueur de cette île, d'une extrémité à l'autre, est de deux milles, et sa largeur moyenne, d'un jet de flèche.
La maison du nilomètre est dans l'extrémité la plus large de l'île, à l'est, non loin de Fostat. C'est un édifice considérable, intérieurement entouré d'arcades arrondies soutenues par des colonnes. Au centre est un puits vaste et profond où l'on descend par un escalier de marbre circulaire. Au milieu, une colonne en marbre s'élève, où sont inscrits des nombres qui correspondent à des coudées, divisées en doigts. Au-dessus de la colonne est une construction parfaite en pierre, peinte de diverses couleurs où l'or et l'azur s'entremêlent avec d'autres teintures solides. L'eau parvient à ce bassin au moyen d'un large canal communiquant avec le Nil ; elle ne pénètre cependant dans ce bassin que pendant la crue du fleuve qui a lieu au mois d'août. La hauteur nécessaire pour arroser convenablement la terre du sultan est de seize coudées ; lorsque les eaux s'élèvent à dix-huit coudées, l'irrigation s'étend sur toutes les terres ; lorsque la crue s'élève à vingt coudées, elle est préjudiciable ; la plus petite crue possible est de douze coudées. La coudée équivaut à vingt-quatre doigts. Lors d'une crue qui excède dix-huit coudées, les eaux emportent les arbres et détruisent tout sur leur passage. Une crue inférieure à douze coudées entraîne la sécheresse et la pénurie.

La Géographie, 1154.

   
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