Au royaume
de l'image,
la page manuscrite



Évangiles, dits 
de l’église du Mans

Le codex de parchemin a offert à l'illustration l'espace bien délimitée de la page simple ou double, et des conditions de conservation bien supérieures à celles du rouleau où, de déroulements en enroulements, la peinture finissait par s'écailler.

L'image remplit trois fonctions essentielles : ornementation, illustration et information, selon ses rapports avec le texte. L'ornementation (initiales ornées, décoration dans les marges) n'a souvent rien à voir avec le contenu du texte : elle est là pour mettre en valeur le livre et servir de repères de lecture ; elle reflète les tendances artistiques du moment. L'illustration met simplement le texte en images ; informative, elle va plus loin, complétant le texte ou montrant ce qu'il ne dit pas.

Déjà dans les rouleaux grecs, des dessins insérés directement dans les colonnes d'écriture venaient éclairer les textes scientifiques. On retrouve ce procédé exactement transplanté dans les codices anciens, où l'image, totalement dépendante de l'écrit, interrompt la colonne précisément au contact du passage concerné.Ce type d'illustration a perduré avec quelques variantes allant dans le sens d'une séparation plus nette de l'image et du texte : encadrement qui isole l'image dont le fond s'enrichit de motifs architecturaux ou de paysages, élargissement du cadre jusqu'aux marges, en bandeau au-dessus des colonnes de texte.
  

Comédies : 
Amphitryon,
Asinaria


Parfois les images encadrées sont disposées les unes en dessous des autres et se partagent la surface de la page dans le sens de la hauteur : une colonne illustrée face à une colonne écrite ; c'est la mise en pages des bibles moralisées, où la part du texte peut être très réduite. Il arrive aussi, surtout à partir du XIVe siècle, que les images se transforment en un panneau historié surmontant une initiale ornée : c'est alors une petite scène qui ouvre une section du texte (un Livre de la Bible, un chapitre de roman…) et illustre toute une partie du récit ; elle sert en même temps de repère.
Lorsqu'elle se déploie en registres superposés ou juxtaposés, la peinture occupe la page entière.

L'illustration pleine page, habituelle dans les anciens manuscrits, consistait essentiellement en un portrait de l'auteur ou du commanditaire qui était alors souvent représenté recevant l'ouvrage des mains de son auteur. Ce type de scène s'enrichit de personnages secondaires (scribes écrivant sous la dictée, disciples ou adversaires en discussion avec l'auteur…), et se charge d'éléments de décor, informant plus sur les circonstances de la réalisation du livre que sur le texte lui-même. Dans les manuscrits de luxe des XIVe et XVe siècles, offerts aux souverains ou aux riches seigneurs, la scène de dédicace, qui occupe quelquefois une double page, est très élaborée et se présente comme un véritable tableau avec de nombreux personnages ; elle renseigne alors sur la vie de l'époque.
  

Le regroupement des copistes, miniaturistes, enlumineurs en ateliers laïcs favorise la production de manuscrits enluminés. Une concurrence s'établit entre eux, stimulée par les mécènes, et les entraînent dans une course à l'innovation qui se nourrit des progrès de la technique picturale. Les livres d'heures, livres de prières et de liturgie au décor personnalisé, que se font fabriquer seigneurs et bourgeois à la fin du Moyen Âge, constituent un champ d'expérimentation privilégié pour l'iconographie. En même temps qu'ils reproduisent les modèles traditionnels, les artistes introduisent des images nouvelles venant surtout de la Renaissance italienne.
  

Heures selon l’usage de Rome
  
L'espace du décor s'approfondit dans des effets de perspective amenant de nouvelles compositions dans la figuration de paysages, d'architectures ou de scènes d'intérieur. L'art du portrait, la recherche de vérité dans la reproduction de l'environnement comme dans les vêtements des personnages, la tendance des illustrateurs à insérer des images exprimant les préoccupations du moment, apportent à l'illustration une grande richesse esthétique et documentaire.
Lorsqu'arrive l'imprimerie, l'image a conquis son autonomie jusqu'à parfois raconter une autre histoire que celle du texte.
 
 
Évangiles du Mans, IXe siècle, mss latin 261
Représentation de saint Luc.

L'image pleine page est présente dans les plus anciens manuscrits. Sur le modèle antique de l'auteur inspiré par sa muse, les évangélistes étaient représentés inspirés par l'Esprit Saint et accompagnés de leurs symboles. Le portrait de chaque évangéliste avec ses symboles était placé en tête de son évangile, sur le recto ou au verso de la page précédente, en frontispice. Il servait de repère au lecteur. Ici, on voit en transparence le début de l'évangile au verso de la peinture, commençant par l'incipit " Évangile selon saint Luc " en grandes lettres de couleur, faisant office de page de titre, comme c'était l'usage dans les manuscrits.


 


   
   


Piste pédagogique

La fonction d'ornementation largement impartie à l'image dans le livre manuscrit a régressé dans le livre imprimé au profit de celle d'information. Chercher des exemples et montrer la différence entre image décorative, image illustrative et image documentaire.

À partir de pages illustrées de textes religieux, historiques ou littéraires, observer comment l'image renseigne non pas sur le temps de l'auteur ou du récit, mais sur celui de l'illustrateur