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Anthologie
Le XIXe siècle |
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| Honoré de
Balzac | Charles Baudelaire | Benjamin
Constant |
| Gustave Flaubert | Victor Hugo | J. K. Huysmans |
| Pierre Loti | Prosper Mérimée | Stendhal | Eugène Sue |
| Villiers de l'Isle Adam | Emile Zola | |
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Honoré de Balzac, La Femme
de trente ans

La marquise, alors âgée de trente ans, était belle quoique frêle de formes et
d'une excessive délicatesse. Son plus grand charme venait d'une physionomie dont le calme
trahissait une étonnante profondeur dans l'âme. Son il plein d'éclat, mais qui
semblait voilé par une pensée constante, accusait une vie fiévreuse et la résignation
la plus étendue. Ses paupières, presque toujours chastement baissées vers la terre, se
relevaient rarement. Si elle jetait des regards autour d'elle, c'était par un mouvement
triste, et vous eussiez dit qu'elle réservait le feu de ses yeux pour d'occultes
contemplations. Aussi tout homme supérieur se sentait-il curieusement attiré vers cette
femme douce et silencieuse. Si l'esprit cherchait à deviner les mystères de la
perpétuelle réaction qui se faisait en elle du présent vers le passé, du monde à sa
solitude, l'âme n'était pas moins intéressée à s'initier aux secrets d'un cur
en quelque sorte orgueilleux de ses souffrances.
En elle, rien d'ailleurs ne démentait les idées qu'elle inspirait tout d'abord. Comme
presque toutes les femmes qui ont de très longs cheveux, elle était pâle et
parfaitement blanche. Sa peau, d'une finesse prodigieuse, symptôme rarement trompeur,
annonçait une vraie sensibilité, justifiée par la nature de ses traits qui avaient ce
fini merveilleux que les peintres chinois répandent sur leurs figures fantastiques. Son
cou était un peu long peut-être ; mais ces sortes de cous sont les plus gracieux, et
donnent aux têtes de femmes de vagues affinités avec les magnétiques ondulations du
serpent. S'il n'existait pas un seul des mille indices par lesquels les caractères les
plus dissimulés se révèlent à l'observateur, il lui suffirait d'examiner attentivement
les gestes de la tête et les torsions du cou, si variées, si expressives, pour juger une
femme.
Chez Mme d'Aiglemont, la mise était en harmonie avec la pensée qui dominait sa personne.
Les nattes de sa chevelure largement tressée formaient au-dessus de sa tête une haute
couronne à laquelle ne se mêlait aucun ornement, car elle semblait avoir dit adieu pour
toujours aux recherches de la toilette. Aussi ne surprenait-on jamais en elle ces petits
calculs de coquetterie qui gâtent beaucoup de femmes. Seulement, quelque modeste que fût
son corsage, il ne cachait pas entièrement l'élégance de sa taille. Puis le luxe de sa
longue robe consistait dans une coupe extrêmement distinguée; et, s'il est permis de
chercher des idées dans l'arrangement d'une étoffe, on pourrait dire que les plis
nombreux et simples de sa robe lui communiquaient une grande noblesse. Néanmoins,
peut-être trahissait-elle les indélébiles faiblesses de la femme par les soins
minutieux qu'elle prenait de sa main et de son pied ; mais si elle les montrait avec
quelque plaisir, il eût été difficile à la plus malicieuse rivale de trouver ses
gestes affectés, tant ils paraissaient involontaires, ou dus à d'enfantines habitudes.
Ce reste de coquetterie se faisait même excuser par une gracieuse nonchalance. Cette
masse de traits, cet ensemble de petites choses qui font une femme laide ou jolie,
attrayante ou désagréable, ne peuvent être qu'indiqués, surtout lorsque, comme chez
Mme d'Aiglemont, l'âme est le lien de tous les détails, et leur imprime une délicieuse
unité. Aussi son maintien s'accordait-il parfaitement avec le caractère de sa figure et
de sa mise. A un certain âge seulement, certaines femmes choisies savent seules donner un
langage à leur attitude. Est-ce le chagrin, est-ce le bonheur qui prête à la femme de
trente ans, à la femme heureuse ou malheureuse, le secret de cette contenance éloquente
? Ce sera toujours une vivante énigme, que chacun interprète au gré de ses désirs, de
ses espérances ou de son système. La manière dont la marquise tenait ses deux coudes
appuyés sur les bras de son fauteuil, et joignait les extrémités des doigts de chaque
main en ayant l'air de jouer ; la courbure de son cou, le laisser-aller de son corps
fatigué mais souple, qui paraissait élégamment brisé dans le fauteuil, l'abandon de
ses jambes, l'insouciance de sa pose, ses mouvements pleins de lassitude, tout révélait
une femme sans intérêt dans la vie, qui n'a point connu les plaisirs de l'amour, mais
qui les a rêvés, et qui se courbe sous les fardeaux dont l'accable sa mémoire ; une
femme qui depuis longtemps a désespéré de l'avenir ou d'elle-même ; une femme
inoccupée qui prend la vie pour le néant. Charles de Vandenesse admira ce magnifique
tableau, mais comme le produit d'un faire plus habile que ne l'est celui des femmes
ordinaires. Il connaissait d'Aiglemont. Au premier regard jeté sur cette femme, qu'il
n'avait pas encore vue, le jeune diplomate reconnut alors des disproportions, des
incompatibilités, employons le mot légal, trop fortes entre ces deux personnes pour
qu'il fût possible à la marquise d'aimer son mari. Cependant Mme d'Aiglemont tenait une
conduite irréprochable et sa vertu donnait encore un plus haut prix à tous les mystères
qu'un observateur pouvait pressentir en elle. Lorsque son premier mouvement de surprise
fut passé, Vandenesse chercha la meilleure manière d'aborder Mme d'Aiglemont, et, par
une ruse de diplomatie assez vulgaire, il se proposa de l'embarrasser pour savoir comment
elle accueillerait une sottise.
La Femme de trente
ans
Relevé de variantes par Maurice Allem
Paris : Bibliopolis, 1998-1999.
Reprod. de léd. de Paris : Garnier, 1962 |
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Portrait de Commis-Voyageur

Le Commis-Voyageur, personnage inconnu dans l'antiquité, n'est-il pas une des plus
curieuses figures créées, par les murs de l'époque actuelle ? N'est-il pas
destiné, dans un certain ordre de choses, à marquer la grande transition qui, pour les
observateurs, soude le temps des exploitations matérielles au temps des exploitations
intellectuelles. Notre siècle reliera le règne de la force isolée, abondante en
créations originales, au règne de la force uniforme, mais niveleuse, égalisant les
produits, les jetant par masses, et obéissant à une pensée unitaire, dernière
expression des sociétés. Après les saturnales de l'esprit généralisé, après les
derniers efforts de civilisations qui accumulent les trésors de la terre sur un point,
les ténèbres de la barbarie ne viennent-ils pas toujours ? Le Commis-Voyageur n'est-il
pas aux idées ce que nos diligences sont aux choses et aux hommes ? Il les voiture, les
met en mouvement, les fait se choquer les unes aux autres ; il prend, dans le centre
lumineux, sa charge de rayons et les sème à travers les populations endormies. Ce
pyrophore humain est un savant ignorant, un mystificateur mystifié, un prêtre incrédule
qui n'en parle que mieux de ses mystères et de ses dogmes.
Curieuse figure ! Cet homme a tout vu, il sait tout, il connaît tout le monde. Saturé
des vices de Paris, il peut affecter la bonhomie de la province. N'est-il pas l'anneau qui
joint le village à la capitale, quoique essentiellement il ne soit ni Parisien, ni
provincial ? car il est voyageur. Il ne voit rien à fond ; des hommes et des lieux, il en
apprend les noms ; des choses, il en apprécie les surfaces ; il a son mètre particulier
pour tout auner à sa mesure ; enfin son regard glisse sur les objets et ne les traverse
pas. Il s'intéresse à tout, et rien ne l'intéresse. Moqueur et chansonnier, aimant en
apparence tous les partis, il est généralement patriote au fond de l'âme. Excellent
mime, il sait prendre tour à tour le sourire de l'affection, du contentement, de
l'obligeance, et le quitter pour revenir à son vrai caractère, à un état normal dans
lequel il se repose. Il est tenu d'être observateur sous peine de renoncer à son
métier. N'est-il pas incessamment contraint de sonder les hommes par un seul regard, d'en
deviner les actions, les murs, la solvabilité surtout ; et, pour ne pas perdre son
temps, d'estimer soudain les chances de succès ? Aussi l'habitude de se décider
promptement en toute affaire le rend-elle essentiellement jugeur : il tranche, il parle en
maître des théâtres de Paris, de leurs acteurs et de ceux de la province. Puis il
connaît les bons et les mauvais endroits de la France, de actu et visu. Il vous
piloterait au besoin au Vice ou à la Vertu avec la même assurance. Doué de l'éloquence
d'un robinet d'eau chaude que l'on tourne à volonté, ne peut-il pas également arrêter
et reprendre sans erreur sa collection de phrases préparées qui coulent sans arrêt et
produisent sur sa victime l'effet d'une douche morale ? Conteur, égrillard, il fume, il
boit. Il a des breloques, il impose aux gens de menu, passe pour un milord dans les
villages, ne se laisse jamais embêter, mot de son argot, et sait frapper à temps sur sa
poche pour faire retentir son argent, afin de n'être pas pris pour un voleur par les
servantes, éminemment défiantes, des maisons bourgeoises où il pénètre. Quant à son
activité, n'est-ce pas la moindre qualité de cette machine humaine. Ni le milan fondant
sur sa proie, ni le cerf inventant de nouveaux détours pour passer sous les chiens et
dépister les chasseurs ; ni les chiens subodorant le gibier, ne peuvent être comparés
à la rapidité de son vol quand il soupçonne une commission, à l'habileté du croc en
jambe qu'il donne à son rival pour le devancer, à l'art avec lequel il sent, il flaire
et découvre un placement de marchandises. Combien ne faut-il pas à un tel homme de
qualités supérieures ! Trouverez-vous, dans un pays, beaucoup de ces diplomates de bas
étage, de ces profonds négociateurs parlant au nom des calicots, du bijou, de la
draperie, des vins, et souvent plus habiles que les ambassadeurs, qui, la plupart, n'ont
que des formes ? Personne en France ne se doute de l'incroyable puissance incessamment
déployée par les Voyageurs, ces intrépides affronteurs de négations qui, dans la
dernière bourgade, représentent le génie de la civilisation et les inventions
parisiennes aux prises avec le bon sens, l'ignorance ou la routine des provinces. Comment
oublier ici ces admirables manuvres qui pétrissent l'intelligence des populations,
en traitant par la parole les masses les plus réfractaires, et qui ressemblent à ces
infatigables polisseurs dont la lime lèche les porphyres les plus durs !
Tournez autour du Commis-Voyageur. Examinez cette figure. N'en oubliez ni la
redingote olive, ni le manteau, ni le col en maroquin, ni la pipe, ni la chemise de
calicot à raies bleues. Dans cette figure, si originale qu'elle résiste au frottement,
combien de natures diverses ne découvrirez-vous pas ? Voyez ! quel athlète, quel cirque,
quelles armes : lui, le monde et sa langue. Intrépide marin, il s'embarque, muni de
quelques phrases, pour aller pêcher cinq à six cent mille francs en des mers glacées,
au pays des Iroquois, en France ! Ne s'agit-il pas d'extraire, par des opérations
purement intellectuelles, l'or enfoui dans les cachettes de province, de l'en extraire
sans douleur ! Le poisson départemental ne souffre ni le harpon ni les flambeaux, et ne
se prend qu'à la nasse, à la seine, aux engins les plus doux. Penserez-vous maintenant
sans frémir au déluge des phrases qui recommence ses cascades au point du jour, en
France ? Vous connaissez le Genre, voici l'Individu.
Il existe à Paris un incomparable Voyageur, le parangon de son espèce, un homme qui
possède au plus haut degré toutes les conditions inhérentes à la nature de ses
succès. Dans sa parole se rencontre à la fois du vitriol et de la glu : de la glu, pour
appréhender, entortiller sa victime et se la rendre adhérente ; du vitriol, pour en
dissoudre les calculs les plus durs. Sa partie était le chapeau ; mais son talent et
l'art avec lequel il savait engluer les gens lui avaient acquis une si grande célébrité
commerciale, que les négociants de l'Article-Paris lui faisaient tous la cour afin
d'obtenir qu'il daignât se charger de leurs commissions. Aussi, quand, au retour de ses
marches triomphales, il séjournait à Paris, était-il perpétuellement en noces et
festins ; en province, les correspondants le choyaient ; à Paris, les grosses maisons le
caressaient. Bienvenu, fêté, nourri partout ; pour lui, déjeuner ou dîner seul était
une débauche, un plaisir. Il menait une vie de souverain, ou mieux de journaliste. Mais
n'était-il pas le vivant feuilleton du commerce parisien ? Il se nommait Gaudissart, et
sa renommée, son crédit, les éloges dont il était accablé, lui avaient valu le surnom
d'illustre. Partout où ce garçon entrait, dans un comptoir comme dans une auberge, dans
un salon comme dans une diligence, dans une mansarde comme chez un banquier, chacun de
dire en le voyant : – Ah ! voilà l'illustre Gaudissart. Jamais nom ne fut plus en
harmonie avec la tournure, les manières, la physionomie, la voix, le langage d'aucun
homme. Tout souriait au Voyageur et le Voyageur souriait à tout. Similia similibus il
était pour lhoméopathie. Calembours, gros rire, figure monacale, teint de
cordelier, enveloppe rabelaisienne ; vêtement, corps, esprit, figure s'accordaient pour
mettre de la gaudisserie, de la gaudriole en toute sa personne. Rond en affaires, bon
homme, rigoleur, vous eussiez reconnu en lui l'homme aimable de la grisette, qui grimpe
avec élégance sur l'impériale d'une voiture, donne la main à la dame embarrassée pour
descendre du coupé, plaisante en voyant le foulard du postillon, et lui vend un chapeau ;
sourit à la servante ; la prend ou par la taille ou par les sentiments ; imite à table
le gouglou d'une bouteille en se donnant des chiquenaudes sur une joue tendue ; sait faire
partir de la bière en insufflant l'air entre ses lèvres ; tape de grands coups de
couteau sur les verres à vin de Champagne sans les casser, et dit aux autres : –
Faites-en autant ! qui gouaille les voyageurs timides, dément les gens instruits, règne
à table et y gobe les meilleurs morceaux. Homme fort d'ailleurs, il pouvait quitter à
temps toutes ses plaisanteries, et semblait profond au moment où, jetant le bout de son
cigare, il disait en regardant une ville : – Je vais voir ce que ces gens-là ont dans le
ventre ! Gaudissart devenait alors le plus fin, le plus habile des ambassadeurs. Il savait
entrer en administrateur chez le sous-préfet, en capitaliste chez le banquier, en homme
religieux et monarchique chez le royaliste, en bourgeois chez le bourgeois ; enfin il
était partout ce qu'il devait être, laissait Gaudissart à la porte et le reprenait en
sortant.
Etudes de
murs.
2e livre, Scènes de la vie de province.
T. 2, Les parisiens en province : lillustre Gaudissart
Document fourni par les éditions Académia. |
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Les Latournelle

Madame Latournelle, fille du greffier du tribunal de première instance se trouve
suffisamment autorisée par sa naissance à se dire issue d'une famille parlementaire.
Cette prétention indique déjà pourquoi cette femme, un peu trop couperosée, tâche de
se donner la majesté du tribunal dont les jugements sont griffonnés par monsieur son
père. Elle prend du tabac, se tient roide comme un pieu, se pose en femme considérable,
et ressemble parfaitement à une momie à laquelle le galvanisme aurait rendu la vie pour
un instant. Elle essaye de donner des tons aristocratiques à sa voix aigre ; mais elle
n'y réussit pas plus qu'à couvrir son défaut d'instruction. Son utilité sociale semble
incontestable à voir les bonnets armés de fleurs qu'elle porte, les tours tapés sur ses
tempes, et les robes qu'elle choisit. Où les marchands placeraient-ils ces produits, s'il
n'existait pas des madame Latournelle ? Tous les ridicules de cette digne femme,
essentiellement charitable et pieuse, eussent peut-être passé presque inaperçus ; mais
la nature, qui plaisante parfois en lâchant de ces créations falottes, l'a douée d'une
taille de tambour-major, afin de mettre en lumière les inventions de cet esprit
provincial. Elle n'est jamais sortie du Havre, elle croit en l'infaillibilité du Havre,
elle achète tout au Havre, elle s'y fait habiller ; elle se dit Normande jusqu'au bout
des ongles, elle vénère son père et adore son mari. Le petit Latournelle eut la
hardiesse d'épouser cette fille arrivée à l'âge anti-matrimonial de trente-trois ans,
et sut en avoir un fils.
Quant à Latournelle, figurez-vous un bon petit homme, aussi rusé que la probité
la plus pure le permet, et que tout étranger prendrait pour un fripon à voir l'étrange
physionomie à laquelle le Havre s'est habitué. Une vue, dite tendre, force le digne
notaire à porter des lunettes vertes pour conserver ses yeux, constamment rouges. Chaque
arcade sourcilière, ornée d'un duvet assez rare, dépasse d'une ligne environ l'écaille
brune du verre en en doublant en quelque sorte le cercle. Si vous n'avez pas observé
déjà sur la figure de quelque passant l'effet produit par ces deux circonférences
superposées et séparées par un vide, vous ne sauriez imaginer combien un pareil visage
vous intrigue ; surtout quand ce visage, pâle et creusé, se termine en pointé comme
celui de Méphistophélès que les peintres ont copié sur le masque des chats, car telle
est la ressemblance offerte par Babylas Latournelle. Au-dessus de ces atroces lunettes
vertes s'élève un crâne dénudé, d'autant plus artificieux que la perruque, en
apparence douée de mouvement, a l'indiscrétion de laisser passer des cheveux blancs de
tous côtés, et coupe toujours le front inégalement. En voyant cet estimable Normand,
vêtu de noir comme un coléoptère, monté sur ses deux jambes comme sur deux épingles,
et le sachant le plus honnête homme du monde, on cherche, sans la trouver, la raison de
ces contre-sens physiognomiques.
Études de
murs.
1er livre, Scènes de la vie privée.
T. 4, Modeste Mignon |
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Portrait de la vieille
fille

Cette personne était une femme. Aucun homme ne s'arrache aux douceurs du sommeil
matinal pour écouter un troubadour en veste, une fille seule se réveille à un chant
d'amour. Aussi était-ce une fille, et une vieille fille. Quand elle eut déployé ses
persiennes par un geste de chauve-souris, elle regarda dans toutes les directions et
n'entendit que vaguement les pas de Brigaut qui s'enfuyait. Y a-t-il rien de plus horrible
à voir que la matinale apparition d'une vieille fille laide à sa fenêtre ? De tous les
spectacles grotesques qui font la joie des voyageurs quand ils traversent les petites
villes, n'est-ce pas le plus déplaisant ? Il est trop triste, trop repoussant pour qu'on
en rie. Cette vieille fille, à l'oreille si alerte, se présentait dépouillée des
artifices en tout genre qu'elle employait pour s'embellir : elle n'avait ni son tour de
faux cheveux ni sa collerette. Elle portait cet affreux petit sac en taffetas noir avec
lequel les vieilles femmes s'enveloppent l'occiput, et qui dépassait son bonnet de nuit
relevé par les mouvements du sommeil. Ce désordre donnait à cette tête l'air menaçant
que les peintres prêtent aux sorcières. Les tempes, les oreilles et la nuque, assez peu
cachées, laissaient voir leur caractère aride et sec ; leurs rides âpres se
recommandaient par des tons rouges peu agréables à lil et que faisait encore
ressortir la couleur quasi blanche de la camisole nouée au cou par des cordons vrillés.
Les bâillements de cette camisole entr'ouverte montraient une poitrine comparable à
celle d'une vieille paysanne peu soucieuse de sa laideur. Le bras décharné faisait
l'effet d'un bâton sur lequel on aurait mis une étoffe. Vue à sa croisée, cette
demoiselle paraissait grande à cause de la force et de l'étendue de son visage qui
rappelait l'ampleur inouïe de certaines figures suisses. Sa physionomie, où les traits
péchaient par un défaut d'ensemble, avait pour principal caractère une sécheresse dans
les lignes, une aigreur dans les tons, une insensibilité dans le fond qui eût saisi de
dégoût un physionomiste. Ces expressions alors visibles se modifiaient habituellement
par une sorte de sourire commercial, par une bêtise bourgeoise qui jouait si bien la
bonhomie, que les personnes avec lesquelles vivait cette demoiselle pouvaient très-bien
la prendre pour une bonne personne. Elle possédait cette maison par indivis avec son
frère. Le frère dormait si tranquillement dans sa chambre, que l'orchestre de l'Opéra
ne l'eût pas éveillé, et cependant le diapason de cet orchestre est célèbre ! La
vieille demoiselle avança la tête hors de la fenêtre, leva vers la mansarde ses petits
yeux d'un bleu pâle et froid, aux cils courts et plantés dans un bord presque toujours
enflé ; elle essaya de voir Pierrette ; mais, après avoir reconnu l'inutilité de sa
manuvre, elle rentra dans sa chambre par un mouvement semblable à celui d'une
tortue qui cache sa tête après l'avoir sortie de sa carapace. Les persiennes se
fermèrent, et le silence de la place ne fut plus troublé que par les paysans qui
arrivaient ou par des personnes matinales.
Quand il y a une vieille fille dans une maison, les chiens de garde sont inutiles : il ne
s'y passe pas le moindre événement qu'elle ne le voie, ne le commente et n'en tire
toutes les conséquences possibles. Aussi, cette circonstance allait-elle donner carrière
à de graves suppositions, ouvrir un de ces drames obscurs qui se passent en famille et
qui, pour demeurer secrets, n'en sont pas moins terribles, si vous permettez toutefois
d'appliquer le mot de drame à cette scène d'intérieur.
Études de
murs.
2e livre, Scènes de la vie de province.
T. 1, Les célibataires : Pierrette

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Charles Baudelaire, Le vieux
saltimbanque

Partout s'étalait, se répandait, s'ébaudissait le peuple en vacances. C'était
une de ces solennités sur lesquelles, pendant un long temps, comptent les saltimbanques,
les faiseurs de tours, les montreurs d'animaux et les boutiquiers ambulants, pour
compenser les mauvais temps de l'année.
En ces jours-là il me semble que le peuple oublie tout, la douceur et le travail ; il
devient pareil aux enfants. Pour les petits c'est un jour de congé, c'est l'horreur de
l'école renvoyée à vingt-quatre heures. Pour les grands c'est un armistice conclu avec
les puissances malfaisantes de la vie, un répit dans la contention et la lutte
universelles.
L'homme du monde lui-même et l'homme occupé de travaux spirituels échappent
difficilement à l'influence de ce jubilé populaire. Ils absorbent, sans le vouloir, leur
part de cette atmosphère d'insouciance. Pour moi, je ne manque jamais, en vrai Parisien,
de passer la revue de toutes les baraques qui se pavanent à ces époques solennelles.
Elles se faisaient, en vérité, une concurrence formidable : elles piaillaient,
beuglaient, hurlaient. C'était un mélange de cris, de détonations de cuivre et
d'explosions de fusées. Les queues-rouges et les Jocrisses convulsaient les traits de
leurs visages basanés, racornis par le vent, la pluie et le soleil ; ils lançaient, avec
l'aplomb des comédiens sûrs de leurs effets, des bons mots et des plaisanteries d'un
comique solide et lourd comme celui de Molière. Les Hercules, fiers de l'énormité de
leurs membres, sans front et sans crâne, comme les orangs-outangs, se prélassaient
majestueusement sous les maillots lavés la veille pour la circonstance. Les danseuses,
belles comme des fées ou des princesses, sautaient et cabriolaient sous le feu des
lanternes qui remplissaient leurs jupes d'étincelles.
Tout n'était que lumière, poussière, cris, joie, tumulte ; les uns dépensaient, les
autres gagnaient, les uns et les autres également joyeux. Les enfants se suspendaient aux
jupons de leurs mères pour obtenir quelque bâton de sucre, ou montaient sur les épaules
de leurs pères pour mieux voir un escamoteur éblouissant comme un dieu. Et partout
circulait, dominant tous les parfums, une odeur de friture qui était comme l'encens de
cette fête.
Au bout, à l'extrême bout de la rangée de baraques, comme si, honteux, il s'était
exilé lui-même de toutes ces splendeurs, je vis un pauvre saltimbanque, voûté, caduc,
décrépit, une ruine d'homme, adossé contre un des poteaux de sa cahute; une cahute plus
misérable que celle du sauvage le plus abruti, et dont deux bouts de chandelles, coulants
et fumants, éclairaient trop bien encore la détresse.
Partout la joie, le gain, la débauche ; partout la certitude du pain pour les lendemain ;
partout l'explosion frénétique de la vitalité. Ici la misère absolue, la misère
affublée, pour comble d'horreur, de haillons comiques, où la nécessité, bien plus que
l'art, avait introduit le contraste. Il ne riait pas, le misérable ! Il ne pleurait pas,
il ne dansait pas, il ne gesticulait pas, il ne criait pas ; il ne chantait aucune
chanson, ni gaie ni lamentable, il n'implorait pas. Il était muet et immobile. Il avait
renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était faite.
Mais quel regard profond, inoubliable, il promenait sur la foule et les lumières, dont le
flot mouvant s'arrêtait à quelques pas de sa répulsive misère ! Je sentis ma gorge
serrée par la main terrible de l'hystérie, et il me sembla que mes regards étaient
offusqués par ces larmes rebelles qui ne veulent pas tomber.
Que faire ? A quoi bon demander à l'infortuné quelle curiosité, quelle merveille il
avait à montrer dans ces ténèbres puantes, derrière son rideau déchiqueté ? En
vérité, je n'osais ; et, dût la raison de ma timidité vous faire rire, j'avouerai que
je craignais de l'humilier. Enfin, je venais de me résoudre à déposer en passant
quelque argent sur une de ses planches, espérant qu'il devinerait mon intention, quand un
grand reflux de peuple, causé par je ne sais quel trouble, m'entraîna loin de lui.
Et, m'en retournant, obsédé par cette vision, je cherchai à analyser ma soudaine
douleur, et je me dis : Je viens de voir l'image du vieil homme de lettres qui a survécu
à la génération dont il fut le brillant amuseur ; du vieux poète sans amis, sans
famille, sans enfants, dégradé par sa misère et par l'ingratitude publique, et dans la
baraque de qui le monde oublieux ne veut plus entrer !
Petits poèmes en
prose : (Le Spleen de Paris)
Choix de variantes par Henri Lemaitre.

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Benjamin Constant, Les timides

Je venais de finir à vingt-deux ans mes études à l'université de Gottingue. –
L'intention de mon père, ministre de l'électeur de ***, était que je parcourusse les
pays les plus remarquables de l'Europe. Il voulait ensuite m'appeler auprès de lui, me
faire entrer dans le département dont la direction lui était confiée, et me préparer
à le remplacer un jour. J'avais obtenu, par un travail assez opiniâtre, au milieu d'une
vie très dissipée, des succès qui m'avaient distingué de mes compagnons d'étude, et
qui avaient fait concevoir à mon père sur moi des espérances probablement fort
exagérées.
Ces espérances l'avaient rendu très indulgent pour beaucoup de fautes que j'avais
commises. Il ne m'avait jamais laissé souffrir des suites de ces fautes. Il avait
toujours accordé, quelquefois prévenu mes demandes à cet égard.
Malheureusement sa conduite était plutôt noble et généreuse que tendre. J'étais
pénétré de tous ses droits à ma reconnaissance et à mon respect. Mais aucune
confiance n'avait existé jamais entre nous. Il avait dans l'esprit je ne sais quoi
d'ironique qui convenait mal à mon caractère. Je ne demandais alors qu'à me livrer à
ces impressions primitives et fougueuses qui jettent l'âme hors de la sphère commune, et
lui inspirent le dédain de tous les objets qui l'environnent. Je trouvais dans mon père,
non pas un censeur, mais un observateur froid et caustique, qui souriait d'abord de
pitié, et qui finissait bientôt la conversation avec impatience. Je ne me souviens pas,
pendant mes dix-huit premières années, d'avoir eu jamais un entretien d'une heure avec
lui. Ses lettres étaient affectueuses, pleines de conseils, raisonnables et sensibles;
mais à peine étions-nous en présence l'un de l'autre qu'il y avait en lui quelque chose
de contraint que je ne pouvais m'expliquer, et qui réagissait sur moi d'une manière
pénible. Je ne savais pas alors ce que c'était que la timidité, cette souffrance
intérieure qui nous poursuit jusque dans l'âge le plus avancé, qui refoule sur notre
cur les impressions les plus profondes, qui glace nos paroles, qui dénature dans
notre bouche tout ce que nous essayons de dire, et ne nous permet de nous exprimer que par
des mots vagues ou une ironie plus ou moins amère, comme si nous voulions nous venger sur
nos sentiments mêmes de la douleur que nous éprouvons à ne pouvoir les faire
connaître. Je ne savais pas que, même avec son fils, mon père était timide, et que
souvent, après avoir longtemps attendu de moi quelques témoignages d'affection que sa
froideur apparente semblait m'interdire, il me quittait les yeux mouillés de larmes et se
plaignait à d'autres de ce que je ne l'aimais pas.
Ma contrainte avec lui eut une grande influence sur mon caractère. Aussi timide que lui,
mais plus agité, parce que j'étais plus jeune, je m'accoutumai à renfermer en moi-même
tout ce que j'éprouvais, à ne former que des plans solitaires, à ne compter que sur moi
pour leur exécution, à considérer les avis, l'intérêt, l'assistance et jusqu'à la
seule présence des autres comme une gêne et comme un obstacle. Je contractai l'habitude
de ne jamais parler de ce qui m'occupait, de ne me soumettre à la conversation que comme
à une nécessite importune et de l'animer alors par une plaisanterie perpétuelle qui me
la rendait moins fatigante, et qui m'aidait à cacher mes véritables pensées. De là une
certaine absence d'abandon qu'aujourd'hui encore mes amis me reprochent, et une
difficulté de causer sérieusement que j'ai toujours peine à surmonter. Il en résulta
en même temps un désir ardent d'indépendance, une grande impatience des liens dont
j'étais environné, une terreur invincible d'en former de nouveaux. Je ne me trouvais à
mon aise que tout seul, et tel est même à présent l'effet de cette disposition d'âme
que, dans les circonstances les moins importantes, quand je dois choisir entre deux
partis, la figure humaine me trouble, et mon mouvement naturel est de la fuir pour
délibérer en paix. Je n'avais point cependant la profondeur d'égoïsme qu'un tel
caractère paraît annoncer : tout en ne m'intéressant qu'à moi, je m'intéressais
faiblement à moi-même. Je portais au fond de mon cur un besoin de sensibilité
dont je ne m'apercevais pas, mais qui, ne trouvant point à se satisfaire, me détachait
successivement de tous les objets qui tour à tour attiraient ma curiosité. Cette
indifférence sur tout s'était encore fortifiée par l'idée de la mort, idée qui
m'avait frappé très jeune, et sur laquelle je n'ai jamais conçu que les hommes
s'étourdissent si facilement.
Adolphe et son
père ou la timidité, 1849 |
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Gustave
Flaubert, Madame Bovary

Charles fut surpris de la blancheur de ses ongles. Ils
étaient brillants, fins du bout, plus nettoyés que les ivoires de Dieppe, et taillés en
amande. Sa main pourtant nétait pas belle, point assez pâle, peut-être, et un peu
sèche aux phalanges ; elle était trop longue aussi et sans molles inflexions de
lignes sur les contours. Ce quelle avait de beau, cétaient les yeux :
quoiquils fussent bruns, ils semblaient noirs à cause des cils, et son regard
arrivait franchement à vous avec une hardiesse candide. [...]Mademoiselle Rouault ne samusait guère à la campagne,
maintenant surtout quelle était chargée presque à elle seule des soins de la
ferme. Comme la salle était fraîche, elle grelottait tout en mangeant, ce qui
découvrait un peu ses lèvres charnues, quelle avait coutume de mordiller à ses
moments de silence.
Son cou sortait dun col blanc, rabattu.
Ses cheveux, dont les deux bandeaux noirs semblaient chacun dun seul morceau, tant
ils étaient lisses, étaient séparés sur le milieu de la tête par une raie fine, qui
senfonçait légèrement selon la courbe du crâne ; et, laissant voir à peine
le bout de loreille, ils allaient se confondre par derrière en un chignon abondant,
avec un mouvement ondé vers les tempes, que le médecin de campagne remarqua pour la
première fois de sa vie. Ses pommettes étaient roses. Elle portait, comme un homme,
passé entre deux boutons de son corsage, un lorgnon décaille.
Madame Bovary, 1857

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L'Éducation
sentimentale

Ce fut comme une apparition :Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du
moins il ne distingua personne, dans léblouissement que lui envoyèrent ses yeux.
En même temps quil passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement
les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.
Elle avait un large chapeau de paille, avec
des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant
la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser
amoureusement lovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits
pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ;
et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de lair
bleu.
Comme elle gardait la même attitude, il fit
plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manuvre ; puis il se
planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait dobserver
une chaloupe sur la rivière.
Jamais il navait vu cette splendeur de
sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière
traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose
extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il
souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes quelle avait
portées, les gens quelle fréquentait ; et le désir de la possession physique
même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui
navait pas de limites.
L'Éducation
sentimentale, 1869

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Madame
Bovary

Alors on vit savancer sur lestrade une petite
vieille femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres
vêtements. Elle avait aux pieds de grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un
grand tablier bleu. Son visage maigre, entouré dun béguin sans bordure, était
plus plissé de rides quune pomme de reinette flétrie, et des manches de sa
camisole rouge dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. La poussière
des granges, la potasse des lessives et le suint des laines les avaient si bien
encroûtées, éraillées, durcies, quelles semblaient sales quoiquelles
fussent rincées deau claire ; et, à force davoir servi, elles restaient
entrouvertes, comme pour présenter delles-mêmes lhumble témoignage de tant
de souffrances subies.
Quelque chose dune rigidité monacale relevait lexpression de sa figure. Rien
de triste ou dattendri namollissait ce regard pâle. Dans la fréquentation
des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. Cétait la première
fois quelle se voyait au milieu dune compagnie si nombreuse ; et,
intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en
habit noir et par la croix dhonneur du Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne
sachant sil fallait savancer ou senfuir, ni pourquoi la foule la
poussait et pourquoi les examinateurs lui souriaient. Ainsi se tenait, devant ces
bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude.
Madame Bovary, 1857

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L'Éducation
sentimentale

Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait
un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile. A travers le brouillard,
il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il
embrassa, dans un dernier coup dil, lîle Saint-Louis, la cité,
Notre-Dame ; et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un grand soupir.M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu
bachelier, sen retournait à Nogent-sur-Seine, où il devait languir pendant deux
mois, avant daller faire son droit. Sa mère, avec la somme indispensable,
lavait envoyé au Havre voir un oncle, dont elle espérait, pour lui,
lhéritage ; il en était revenu la veille seulement ; et il se
dédommageait de ne pouvoir séjourner dans la capitale, en regagnant sa province par la
route la plus longue.
L'Éducation
sentimentale, 1869

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Victor
Hugo, Notre-Dame de Paris

Nous nessayerons pas de donner au lecteur une idée de
ce nez tétraèdre, de cette bouche en fer de cheval ; de ce petit il gauche
obstrué dun sourcil roux en broussailles, tandis que lil droit
disparaissait entièrement caché sous une énorme verrue ; de ces dents
désordonnées, ébréchées ça et là, comme les créneaux dune forteresse ;
de cette lèvre calleuse, sur laquelle une de ces dents empiétait comme la défense
dun éléphant ; de ce menton fourchu ; et surtout de la physionomie
répandue sur tout cela ; de ce mélange de malice, détonnement et de
tristesse. Quon rêve, si lon peut, cet ensemble.Lacclamation fut unanime ; on se précipita vers la
chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous. Mais cest alors
que la surprise et ladmiration furent à leur comble ; la grimace était son
visage.
Ou plutôt toute sa personne était une
grimace. Une grosse tête hérissée de cheveux roux ; entre les deux épaules une
bosse énorme dont le contre-coup se faisait sentir par devant ; un système de
cuisses et de jambes si étrangement fourvoyées quelles ne pouvaient se toucher que
par les genoux, et, vues de face, ressemblaient à deux croissants de faucilles qui se
rejoignent par la poignée ; de larges pieds, des mains monstrueuses ; et, avec
toute cette difformité, je ne sais quelle allure redoutable de vigueur, dagilité
et de courage ; étrange exception à la règle éternelle qui veut que la force,
comme la beauté, résulte de lharmonie. Tel était le pape que les fous venaient de
se donner.
Notre-Dame de Paris, 1831

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Quatre
vingt treize

Le premier de ces trois hommes était pâle, jeune, grave,
avec les lèvres minces et le regard froid. Il avait dans la joue un tic nerveux qui
devait le gêner pour sourire. Il était poudré, ganté, brossé, boutonné ; son
habit bleu clair ne faisait pas un pli. Il avait une culotte de nankin, des bas blancs,
une haute cravate, un jabot plissé, des souliers à boucles dargent. Les deux
autres hommes étaient, lun, une espèce de géant, lautre, une espèce de
nain. Le grand, débraillé dans un vaste habit de drap écarlate, le col nu dans une
cravate dénouée tombant plus bas que le jabot, la veste ouverte avec des boutons
arrachés, était botté de bottes à revers et avait les cheveux tout hérissés,
quoiquon y vît un reste de coiffure et dapprêt ; il y avait de la
crinière dans sa perruque. Il avait la petite vérole sur la face, une ride de colère
entre les sourcils, le pli de la bonté au coin de la bouche, les lèvres épaisses, les
dents grandes, un poing de portefaix, lil éclatant. Le petit était un homme
jaune qui, assis, semblait difforme ; il avait la tête renversée en arrière, les
yeux injectés de sang, des plaques livides sur le visage, un mouchoir noué sur ses
cheveux gras et plats, pas de front, une bouche énorme et terrible. Il avait un pantalon
à pied, des pantoufles, un gilet qui semblait avoir été de satin blanc, et par-dessus
ce gilet une houppelande dans les plis de laquelle une ligne dure et droite laissait
deviner un poignard.Le premier de ces
hommes sappelait Robespierre, le second Danton, le troisième, Marat.
Quatre vingt treize, 1874

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Joris
Karl Huysmans, À rebours

Serrés, à létroit dans leurs vieux cadres quils
barraient de leurs fortes épaules, ils alarmaient avec leurs yeux fixes, leurs moustaches
en yatagans, leur poitrine dont larc bombé remplissait lénorme coquille des
cuirasses.Ceux-là étaient les
ancêtres ; les portraits de leurs descendants manquaient ; un trou existait
dans la filière des visages de cette race ; une seule toile servait
dintermédiaire, mettait un point de suture entre le passé et le présent, une
tête mystérieuse et rusée, aux traits morts et tirés, aux pommettes ponctuées
dune virgule de fard, aux cheveux gommés et enroulés de perles, au col tendu et
peint, sortant des cannelures dune rigide fraise.
Déjà, dans cette image de lun des plus
intimes familiers du duc dEpernon et du marquis dO, les vices dun
tempérament appauvri, la prédominance de la lymphe dans le sang, apparaissaient.
La décadence de cette ancienne maison avait,
sans nul doute, suivi régulièrement son cours ; leffémination des mâles
était allée en saccentuant ; comme pour achever luvre des âges,
les des Esseintes marièrent, pendant deux siècles, leurs enfants entre eux, usant leur
reste de vigueur dans les unions consanguines.
De cette famille naguère si nombreuse
quelle occupait presque tous les territoires de lIle-de-France et de la Brie,
un seul rejeton vivait, le duc Jean, un grêle jeune homme de trente ans, anémique et
nerveux, aux joues caves, aux yeux dun bleu froid dacier, au nez éventé et
pourtant droit, aux mains sèches et fluettes.
Par un singulier phénomène datavisme,
le dernier descendant ressemblait à lantique aïeul, au mignon, dont il avait la
barbe en pointe dun blond extraordinairement pâle et lexpression ambiguë,
tout à la fois lasse et habile.
Son enfance avait été funèbre. Menacée de
scrofules, accablée par dopiniâtres fièvres, elle parvint cependant, à
laide de grand air et de soins, à franchir les brisants de la nubilité, et alors
les nerfs prirent le dessus, matèrent les langueurs et les abandons de chlorose,
menèrent jusquà leur entier développement les progressions de la croissance.
À rebours, 1884

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Pierre Loti, Mon
frère Yves

Le livret de marin de mon frère Yves ressemble à tous les autres livrets de tous
les autres marins. Il est recouvert d'un papier parchemin de couleur jaune, et, comme il a
beaucoup voyagé sur la mer, dans différents caissons de navire, il manque absolument de
fraîcheur. En grosses lettres, il y a sur la couverture : Kermadec, 2091. P. Kermadec,
c'est son nom de famille ; 2091, son numéro dans l' armée de mer, et p, la lettre
initiale de Paimpol son port d'inscription. En ouvrant, on trouve, à la première page,
les indications suivantes :
" Kermadec (Yves-Marie), fils d'Yves-Marie et de Jeanne Danveoch. Né le 28
août 1851, à Saint-pol-de-léon (Finistère). Taille, 1 m 80. Cheveux châtains,
sourcils châtains, yeux châtains, nez moyen, menton ordinaire, front ordinaire, visage
ovale. " Marques particulières : tatoué au sein gauche d'une ancre et, au poignet
droit, d'un bracelet avec un poisson. "
Quand on appela : " 218 : Kermadec
! " on vit paraître Yves, un grand garçon de vingt-quatre ans, à l'air grave,
portant bien son tricot rayé et son large col bleu. Grand, maigre de la maigreur des
antiques, avec les bras musculeux, le col et la carrure d'un athlète, l'ensemble du
personnage donnant le sentiment de la force tranquille et légèrement dédaigneuse. Le
visage incolore, sous une couche uniforme de hâle brun, je ne sais quoi de breton qui ne
se peut définir, avec un teint d'Arabe. La parole brève et l'accent du Finistère ; la
voix basse, vibrant d'une manière particulière, comme ces instruments aux sons très
puissants, mais qu'on touche à peine de peur de faire trop de bruit. Les yeux gris
roux, un peu rapprochés et très renfoncés sous l'arcade sourcilière, avec une
expression impassible de regard en dedans ; le nez très fin et régulier ; la lèvre
inférieure s'avançant un peu, comme par mépris. Figure immobile, marmoréenne, excepté
dans les moments rares où paraît le sourire ; alors tout se transforme et on voit
qu'Yves est très jeune. Le sourire de ceux qui ont souffert : il a une douceur d'enfant
et illumine les traits durcis, un peu comme ces rayons de soleil, qui, par hasard, passent
sur les falaises bretonnes.
Mon frère Yves,
1883

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Prosper Mérimée, Carmen

Jétais donc le nez sur ma chaîne, quand jentends
des bourgeois qui disaient : Voilà la gitanilla ! Je levai les yeux, et je la
vis. Cétait un vendredi, et je ne loublierai jamais. Je vis cette Carmen que
vous connaissez, chez qui je vous ai rencontré il y a quelques mois.Elle avait un jupon rouge fort court qui laissait
voir des bas de soie blancs avec plus dun trou, et des souliers mignons de maroquin
rouge attachés avec des rubans couleur de feu. Elle écartait sa mantille afin de montrer
ses épaules et un gros bouquet de cassie qui sortait de sa chemise. Elle avait encore une
fleur de cassie dans le coin de la bouche, et elle savançait en se balançant sur
ses hanches comme une pouliche du haras de Cordoue. Dans mon pays, une femme en ce costume
aurait obligé le monde à se signer. A Séville, chacun lui adressait quelque compliment
gaillard sur sa tournure ; elle répondait à chacun, faisant les yeux en coulisse,
le poing sur la hanche, effrontée comme une vraie bohémienne quelle était.
Dabord elle ne me plut pas, et je repris mon ouvrage ; mais elle, suivant
lusage des femmes et des chats qui ne viennent pas quand on les appelle et qui
viennent quand on ne les appelle pas, sarrêta devant moi et madressa la
parole :
– Compère, me dit-elle à la façon
andalouse, veux-tu me donner ta chaîne pour tenir les clefs de mon coffre-fort ?
– Cest pour attacher mon épinglette,
lui répondis-je.
– Ton épinglette ! sécria-t-elle
en riant. Ah ! monsieur fait de la dentelle, puisquil a besoin
dépingles !
Tout le monde qui était là se mit à rire,
et moi je me sentais rougir, et je ne pouvais trouver rien à lui répondre.
– Allons, mon cur, reprit-elle, fais-moi
sept aunes de dentelle noire pour une mantille, épinglier de mon âme !
Et prenant la fleur de cassie quelle
avait à la bouche, elle me la lança, dun mouvement de pouce, juste entre les deux
yeux. Monsieur, cela me fit leffet dune balle qui marrivait... Je ne
savais où me fourrer, je demeurais immobile comme une planche. Quand elle fut entrée
dans la manufacture, je vis la fleur de cassie qui était tombée à terre entre mes
pieds ; je ne sais ce qui me prit, mais je la ramassai sans que mes camarades
sen aperçussent et je la mis précieusement dans ma veste. Première sottise !
Carmen, 1845

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Stendhal, Le Rouge et le noir

Il avait les joues pourpres et les yeux baissés.
Cétait un petit homme de dix-huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des
traits irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans
les moments tranquilles, annonçaient de la réflexion et du feu, étaient animés en cet
instant de lexpression de la haine la plus féroce. Des cheveux châtain foncé,
plantés fort bas, lui donnaient un petit front, et, dans les moments de colère, un air
méchant. Parmi les innombrables variétés de la physionomie humaine, il nen est
peut-être point qui se soit distinguée par une spécialité plus saisissante. Une taille
svelte et bien prise annonçait plus de légèreté que de vigueur. Dès sa première
jeunesse, son air extrêmement pensif et sa grande pâleur avaient donné lidée à
son père quil ne vivrait pas, ou quil vivrait pour être une charge à sa
famille. Objet des mépris de tous à la maison, il haïssait ses frères et son
père ; dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu.
Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles
quand elle était loin des regards des hommes, Mme de Rênal sortait par la porte-fenêtre
du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut, près de la porte dentrée
la figure dun jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait
de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre
de ratine violette.
Le teint de ce petit paysan était si blanc,
ses yeux si doux, que lesprit un peu romanesque de Mme de Rênal eut dabord
lidée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque
grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte
dentrée, et qui évidemment nosait pas lever la main jusquà la
sonnette. Mme de Rênal sapprocha, distraite un instant de lamer chagrin que
lui donnait larrivée du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait
pas savancer. Il tressaillit quand une voix douce dit tout près de son
oreille :
– Que voulez-vous ici, mon enfant ?
Julien se tourna vivement, et, frappé du
regard si rempli de grâce de Mme de Rênal, il oublia une partie de sa timidité.
Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce quil venait faire. Mme de
Rênal avait répété sa question.
– Je viens pour être précepteur, madame, lui
dit-il enfin, tout honteux de ses larmes quil essuyait de son mieux.
Mme de Rênal resta interdite, ils étaient
fort près lun de lautre à se regarder. Julien navait jamais vu un
être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler
dun air si doux. Mme de Rênal regardait les grosses larmes qui sétaient
arrêtées sur les joues si pâles dabord et maintenant si roses de ce jeune paysan.
Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle dune jeune fille, elle se
moquait delle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, cétait
là ce précepteur quelle sétait figuré comme un prêtre sale et mal vêtu,
qui viendrait gronder et fouetter ses enfants.
Le Rouge et le noir, 1830

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Eugène
Sue, Les Mystères de Paris

Maintenant quelques mots de logresse et de ses hôtes.Logresse sappelle la mère
Ponisse ; sa triple profession consiste à loger, à tenir un cabaret, et à louer
des vêtements aux misérables créatures qui pullulent dans ces rues immondes.
Logresse a quarante ans environ. Elle
est grande, robuste, corpulente, haute en couleur et quelque peu barbue. Sa voix rauque,
virile, ses gros bras, ses larges mains, annoncent une force peu commune ; elle porte
sur son bonnet un vieux foulard rouge et jaune ; un châle de poil de lapin se croise
sur sa poitrine et se noue derrière son dos ; sa robe de laine verte laisse voir des
sabots noirs souvent incendiés par sa chaufferette ; enfin le teint de
logresse est cuivré, enflammé par labus de liqueurs fortes.
Le comptoir, plaqué de plomb, est garni de
brocs cerclés de fer et de différentes mesures détain ; sur une tablette
attachée au mur, on voit plusieurs flacons de verre façonnés de manière à
représenter la figure en pied de lempereur
Ces bouteilles renferment des breuvages
frelatés de couleur rose et verte, connus sous le nom de parfait-amour et de
consolation.
Enfin, un gros chat à prunelles jaunes,
accroupi près de logresse, semble le démon familier de ce lieu.
Les Mystères de Paris, 1842-1843

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Villiers de l'Isle Adam, Contes cruels

La croisée, sous les vastes draperies de cachemire mauve
broché dor, était ouverte : un dernier rayon du soir illuminait, dans un
cadre de bois ancien, le grand portrait de la trépassée. Le comte regarda, autour de
lui, la robe jetée, la veille, sur un fauteuil ; sur la cheminée, les bijoux, le
collier de perles, léventail à demi fermé, les lourds flacons de parfums quElle
ne respirait plus. Sur le lit débène aux colonnes tordues, resté défait, auprès
de loreiller où la place de la tête adorée et divine était visible encore au
milieu des dentelles, il aperçut le mouchoir rougi de gouttes de sang où sa jeune âme
avait battu de laile un instant ; le piano ouvert, supportant une mélodie
inachevée à jamais, les fleurs indiennes cueillies par elle, dans la serre, et qui se
mouraient dans de vieux vases de Saxe ; et, au pied du lit, sur une fourrure noire,
les petites mules de velours oriental, sur lesquelles une devise rieuse de Véra brillait,
brodée en perles : Qui verra Véra laimera. Les pieds nus de la
bien-aimée y jouaient hier matin, baisés à chaque pas, par le duvet des cygnes !
Et là, là, dans lombre, la pendule, dont il avait brisé le ressort pour
quelle ne sonnât plus dautres heures.
Contes cruels, 1874

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Emile
Zola, Nana

Tous se tournèrent. Elle ne sétait pas couverte du
tout, elle venait simplement de boutonner un petit corsage de percale, qui lui cachait à
demi la gorge. Lorsque ces messieurs lavaient mise en fuite, elle se déshabillait
à peine, ôtant vivement son costume de Poissarde. Par-derrière, son pantalon laissait
passer encore un bout de chemise. Et les bras nus, les épaules nues, la pointe des seins
à lair, dans son adorable jeunesse de blonde grasse, elle tenait toujours le rideau
dune main, comme pour le tirer de nouveau, au moindre effarouchement. " Oui, jai été surprise, jamais
je noserai..., balbutiait-elle, en jouant la confusion, avec des tons roses sur le
cou et des sourires embarrassés.
– Allez donc, puisquon vous trouve très
bien ! " cria Bordenave.
Elle risque encore des mines hésitantes
dingénue, se remuant comme chatouillée, répétant :
" Son Altesse me fait trop
dhonneur... Je prie Son altesse de mexcuser, si je la reçois ainsi...
– Cest moi qui suis importun, dit le
prince ; mais je nai pu, madame, résister au désir de vous
complimenter... "
Alors, tranquillement, pour aller à la
toilette, elle passa en pantalon au milieu de ces messieurs, qui sécartèrent. Elle
avait les hanches très fortes, le pantalon ballonnait, pendant que, la poitrine en avant,
elle saluait encore avec son fin sourire. Tout dun coup, elle parut reconnaître le
comte Muffat, et elle lui tendit la main, en amie. Puis, elle le gronda de nêtre
pas venu à son souper. Son Altesse daignait plaisanter Muffat, qui bégayait, frissonnant
davoir tenu une seconde, dans sa main brûlante, cette petite main, fraîche des
eaux de toilette. Le comte avait fortement dîné chez le prince, grand mangeur et beau
buveur. Tous deux étaient même un peu gris.
Nana, 1881

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