L'oeuvre de Queneau

Raymond Queneau, dont la vocation littéraire s’affirma très tôt, fut un auteur extrêmement prolixe : entre 1933 et 1975, il publia près de mille poèmes, une quinzaine de romans et de nombreux textes qui, tels les Exercices de style, sont inclassables dans l’une ou l’autre de ces deux catégories. Sans parler des essais, des quelques trois cents poèmes qui à sa mort étaient encore inédits et des paroles de chansons, dialogues de films ou scénarios qu’il écrivit.
    

Roman et poésie : une même démarche


Queneau joua sur la distinction entre les genres : la poésie et le roman procédaient pour lui de la même démarche ou plus précisement, le roman devait être écrit comme un poème. Certains de ses romans – comme Chêne et chien ou la première partie de Temps mêlés – sont en vers, tandis que certains de ses poèmes – comme Petite cosmogonie portative – contiennent des dialogues et des personnages. Et que dire, sinon que Queneau aimait brouiller les pistes, du Journal intime, intitulé " roman " et publié sous un pseudonyme ? De même, la formule suivante  figure en exergue du Dimanche de la vie : " Les personnages de ce roman étant réels, toute ressemblance avec des individus imaginaires serait fortuite ".

La publication en 1933 de son premier roman, Le Chiendent, lui valu le prix des Deux-Magots, créé pour la circonstance. Après la Libération, la publication des Exercices de style et le succès de ses textes chantés par Juliette Gréco (" Si tu t’imagines... ") le fit connaître au-delà du cercle des intellectuels. Mais c’est avec Zazie dans le métro, paru en 1959, que sa notoriété atteignit le grand public.
   

L’inventeur du "néo-français"


Pourtant, ce qui fit la renommée de Zazie existait déjà dans ses premiers romans : l’invention d’un nouveau langage, le "néo-français", langage parlé devenant langage écrit au moyen d’une orthographe phonétique. " Doukipudonktan ", " a boujpludutou " et autres " bloudjiins " procèdent de la volonté de l’auteur d'adapter le langage écrit à la langue parlée. Pour cela, Queneau " bouscule les mots " et utilise à profusion les calembours, inversions, mots-valises et autres trouvailles littéraires qui, jointes à l’importance qu’il accorde au rythme, lui donnent ce style si particulier. En effet, Queneau s’appuie fermement sur les structures de la poésie : rimes, sonnets, alexandrins abondent dans son œuvre qui, de ce fait, se prête particulièrement bien à la lecture à haute voix. Un grand nombre de ses poèmes ont d’ailleurs été mis en musique, mis en scène ou ont fait l’objet de diffusions radiophoniques.
Il reviendra toutefois sur l'idée de "néo-français" à la fin de sa vie constatant le rôle de standardisation, de la radio et des médias de masse.
  

Quelques thèmes en arrière-plan

Dans ses romans apparaissent, le plus souvent en arrière-plan, quelques-uns des thèmes qui le préoccupent. Dans Odile, roman autobiographique, il règle ses comptes avec ses anciens amis surréalistes. Dans Chêne et chien, il fait le récit de son expérience psychanalytique. L’inquiétude que suscite la montée du fascisme apparaît dans Les Derniers jours et dans Les Enfants du Limon, tandis que son attirance pour le taoïsme se lit dans Les Fleurs bleues. La métaphysique domine les œuvres des années 1939-1940, (Odile, Un rude hiver notamment), pour revenir sur le devant de la scène vers la fin de sa vie avec Fendre les flots ou Morale élémentaire par exemple (1968-1976).

Quant à l’intérêt de Queneau pour les mathématiques, il traverse une grande partie de son œuvre : Le Chiendent, Gueule de Pierre et les Derniers jours ont, aux dires de Queneau lui-même, une " structure circulaire ", Bords est un essai sur les mathématiques et sur l’encyclopédisme, Cent mille milliards de poèmes est, comme bon nombre de ses romans, bâti sur des combinaisons, et il est aisé de deviner à quoi se réfère l’ouvrage intitulé Bâtons, chiffres et lettres….