|
|
|
Entrepris
au début du XVe siècle, le manuscrit des
Antiquités judaïques est constitué de
deux volumes. La copie du texte ainsi que les deuxième et
troisième miniatures du premier volume ont été
exécutées pour le duc Jean de Berry. Inachevé
à la mort du duc, le manuscrit passa par héritage
à son petit-fils Bernard cadet d’Armagnac, comte de
Pardiac, qui fit faire vers 1420 la miniature-frontispice. Son
fils Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, confia à
Fouquet le soin d’y peindre les grandes miniatures restantes
et d’y retoucher au frontispice ses propres emblèmes.
Lors de l’arrestation du duc de Nemours à Carlat en
1476, le premier volume devait passer à Pierre de Beaujeu.
Celui-ci, devenu duc de Bourbon en 1488, fit apposer en dernière
page, par son secrétaire François Robertet, son ex-libris,
attestation de propriété accompagnée de l’indication
du nom de l’artiste : "En ce livre a douze ystoires,
les troys premieres de l’enlumineur du duc Jehan de Berry
et les neuf de la main du bon paintre et enlumineur du roi Loys
XIe, Jehan Foucquet, natif de Tours."
On date généralement ces peintures de la fin de la
carrière de l’artiste, vers 1465-1475. Il est d'ailleurs
probable qu'il en ait surtout supervisé l'exécution,
confiant le travail à ses proches collaborateurs dont ses
fils faisaient partie.
La miniature du folio 163 représente la construction du
Temple de Jérusalem ordonnée par Salomon. |
|
|
|
|
|
Le
contexte
Les Antiquités
judaïques de l’écrivain juif Flavius Josèphe
(37-90) retracent, en vingt livres, l’histoire de la nation
juive, depuis la Genèse jusqu’en l’an 66 de
notre ère.
Au chapitre
II du Livre VIII des Antiquités Judaïques est
relatée la construction du Temple de Jérusalem par
le roi Salomon :
" …le roi Salomon commença à bâtir
le Temple en la quatrième année de son règne
; et au second mois que les Macédoniens nomment Arthemisius
et les Hébreux Jar (qui est le mois d’avril), cinq
cent quatre-vingt-douze ans depuis la sortie d’Égypte,
mille vingt ans après qu’Abraham fut sorti de Mésopotamie
pour venir en la terre de Chanaan, mille quatre cent quarante après
le déluge, et trois mille cent deux ans depuis la création
du monde… Les fondations du Temple furent faites très
profondes et, afin qu’elles pussent résister à
toutes les injures du temps et soutenir sans s’ébranler
cette grande masse que l’on devait construire dessus, les
pierres dont on les remplit étaient si grandes que cet ouvrage
n’était pas moins digne d’admiration que ces
superbes ornements et ces enrichissements merveilleux auxquels
il devait servir comme de base, et toutes les pierres que l’on
employa depuis les fondements jusqu’à la couverture
étaient fort blanches… Toute la structure de ce superbe
édifice était de pierres si polies et tellement jointes
qu’on ne pouvait en apercevoir les liaisons ; mais il semblait
que la nature les eût formées de la sorte d’une
seule pièce, sans que l’art ni les instruments dont
les excellents maîtres se servent pour embellir leurs ouvrages
y eussent contribué en rien."
Ce chapitre
fait référence à un épisode biblique
relaté dans le premier livre
des Rois.
|
|
|
La
composition |
|
|
Les
Antiquités judaïques furent considérées
comme texte sacré de l’histoire sainte jusqu’au
XIIe siècle. C’est après une éclipse
de deux siècles, que le goût des bibliophiles du XVe
siècle pour l’histoire ancienne et les auteurs classiques
les retirèrent de l'oubli. L’absence d’une tradition
iconographique continue sur le sujet laissait le champ libre à
Fouquet pour de nouvelles créations. Le peintre a alors
replacé cette scène de construction à sa propre
époque, se référant à ce qu'il connaissait :
le chantier d’une cathédrale.
L’espace est occupé aux trois quarts sur la droite
par la masse imposante du Temple. Dans le quart gauche de la peinture,
le palais royal, reconnaissable à sa bannière fleurdelisée,
lui fait face. Un groupe d'hommes montent l'escalier pour venir
contempler l'édifice depuis les appartements de Salomon.
L’utilisation
du nombre d’or, appelé aussi "divine proportion",
permet à Fouquet de mettre en valeur l’événement
et ses principaux acteurs. Ainsi la loggia, d’où Salomon
désigne le Temple à un visiteur, se trouve dans la
section dorée des longs côtés de la peinture,
de même que le personnage à la fenêtre de gauche,
qui semble surveiller les tailleurs de pierres qui s'affairent
dans la partie inférieure de la peinture. Sur la droite
une procession de fidèles porteurs de cierges et d'offrandes,
se dirige vers le portail.
|
|
|
Le
Temple |
|
|
Sous le pinceau de Fouquet ou de l'un de ses émules, le
Temple de Salomon est devenu un merveilleux édifice gothique.
En effet, l'artiste s'est inspiré des façades des
cathédrales dont il reprend la structure et le décor.
Le premier niveau englobant les portails et leurs gâbles,
constitue la partie achevée de la construction. Le second
est une galerie d'arcatures aveugles surmontée d'une corniche
au delà de laquelle les ouvriers commencent à poser
les pierres de la coupole. Il s'agit bien d'une coupole comme en
témoigne la peinture ouvrant le Livre X (fol. 213v) où
l'on voit le Temple achevé.
Comme une cathédrale, il est garni de statues colonnes dans
les ébrasements et au trumeau des portails, ainsi que de
personnages sculptés occupant les voussures et les arcatures
scandées par les pinacles, les gâbles et les rosaces.
Le pourtour de la corniche supérieure est décoré
en partie d’une bordure de fleurs de lys. Deux rosaces occupent
le centre de la façade de droite dont le revêtement
doré est en cours d'achèvement.
En revanche le plan n'est pas celui d'une église gothique,
il s'inspire directement de la Bible (I Rois, 6, 1-22) qui elle
aussi décrit la construction du Temple de Salomon mais d'une
manière plus détaillée que l'historien Flavius
Josèphe. Au sein du texte biblique, Fouquet opère
encore une sélection pour ne s'attacher qu'au plan du sanctuaire :
le Debir, qui était de forme carrée. C'est probablement
le sens symbolique du carré que l'artiste a voulu mettre
en évidence.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Le
chantier |
|
|
|
Sur
le devant de la scène, sans se laisser distraire par le
va et vient des visiteurs, les acteurs principaux, les ouvriers,
s’activent à la préparation des matériaux
que leurs compagnons réceptionnent en haut de l’édifice
grâce à l’instrument de levage, la roue.
L’auteur indique clairement que pour la construction du Temple
"avant d’amener les pierres… [les ouvriers] les
taillaient sur la montagne". Fouquet représente l'étape
où les matériaux sont à pied d'œuvre,
ce qui lui permet de donner une vue d'ensemble d'un chantier de
cathédrale et d'offrir un témoignage contemporain
des modes de construction.
Les princes et les puissants ont toujours tiré gloire de
leur activité de bâtisseur. Des ouvrages historiques
comme les Grandes Chroniques de France ou les Décades
de Tite-Live, ont donné à Fouquet l'occasion
de traiter le thème à plusieurs reprises.
Dans la scène des Antiquités judaïques,
au premier plan, une douzaine d'ouvrier s'activent. À droite
l'un d'entre eux, aidé de deux commis porteurs d’eau,
prépare le mortier. Viennent ensuite les tailleurs de pierres,
deux dégrossissent les blocs avec des masses, deux travaillent
à l'aide d'un ciseau, l'un creusant une mortaise, l'autre
sculptant un bloc, auprès d'un compagnon parachevant une
moulure à l’aide de son pic. Un imagier a posé
près de lui marteau, ciseau et gouge pour prendre, à
l’aide d'un compas, une mesure sur la statue qu'il ébauche.
Un aide soulève péniblement un tambour de colonne
prêt à la pose. Deux portefaix emportent sur un brancard
une pierre. Des ouvriers, hotte sur le dos ou seau sur l’épaule,
entrent et sortent du Temple par les portails à deux entrées,
apportant le matériel nécessaire aux travaux dans
l’œuvre. L'un d'entre eux a la tête protégée
par un capuchon. Sur un échafaudage, le long de la façade
de droite entre les rosaces, on aperçoit les silhouettes
de peintres terminant le revêtement doré.
|
|
|
|
Ces
ouvriers apparaissent en pleine activité, comme sur le chantier
d’Aix-la-Chapelle dans les Grandes Chroniques de France.
Peinture où Fouquet a représenté l’empereur
Charlemagne qui, avec beaucoup de fierté, montre à
quelques proches l'avancement des travaux de son palais dont les
maçons élèvent les murs.
Installée au sommet du Temple, une roue met en mouvement
une poulie, invisible sur la peinture, qui a permis l’élévation
du bloc de pierre que plusieurs ouvriers hissent sur le rebord
du toit, pendant que l’un d’entre eux commande la manœuvre
de relâchement.
|
|
|
|
|
|
|
|
Tout
aussi impressionnante est la roue, actionnée par des hommes,
figurant sur le frontispice des Décades de Tite-Live.
Dans cette dernière composition, l’artiste a su donner
l’importance qui leur revenait aux ouvriers chez qui l’on
retrouve l’aplomb des corps et l’exactitude des gestes
professionnels.
|
|
|
|
|
|
En
écho à la construction du Temple de Jérusalem,
la représentation de sa destruction par Nabuchodonosor (en
604 av. J.-C.) redonne une perspective du même site mais un
peu plus éloignée. On y voit, malgré l'incendie,
devant le palais royal, l’édifice entièrement
achevé, doré, entouré de son parvis. Les flammes
nous rappellent le caractère éphémère
de tout ce qui est conçu et bâti par l’homme.
Ce Temple sacré, magnifique, n’est qu’une représentation
temporelle de l’alliance de Yahvé et d’un peuple.
Construit par l’homme, détruit par l’homme, il
est l’image de l’éternel recommencement de l’action
mue par la foi et le doute. |
|
|
|
|