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Pour éviter tout risque dinceste et de
consanguinité, lÉglise a délimité strictement, mais en adoucissant ses exigences
au fil des siècles, les modalités des mariages entre parents. Au haut Moyen Âge, la
limite de linterdiction des unions consanguines a été fixée au septième degré
de parenté, à la fois pour se conformer à lhistoire biblique et pour éviter
lendogamie de laristocratie, puissance adverse de lÉglise, que cette
dernière cherche à discipliner et à christianiser en profondeur. Laristocratie
étant volontiers voyageuse et avide dalliances lointaines, cela ne laffectait
guère. Pour le paysan plus attaché à sa terre, ou le serf qui navait pas le droit
de quitter son domaine, la difficulté de trouver une épouse en était grandement accrue.
Aussi, dès le début du XIIIe siècle, on convint en concile dabaisser
la barre au quatrième degré de parenté. |
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Larbre de la
parenté est un motif apparu au VIIIe siècle. Larbre de consanguinité
peint dans ce manuscrit juridique français du XVe siècle présente quatre
branches, qui pouvaient évoquer aux yeux des contemporains linterdiction à la
quatrième génération (un couple originel et trois générations de collatéraux), mais
il figure surtout lancienne interdiction à la septième génération : en
effet, sept personnages se succèdent entre le couple originel et les derniers-nés au
berceau.
Le motif de larbre de consanguinité est très lié à celui de
l"arbre" généalogique, auquel il a donné naissance,
tardivement, au cours du XVe siècle. Larbre généalogique connaît un
immense succès au XVIe siècle, succès toujours dactualité. Si ce
double schéma de larbre de consanguinité et de larbre généalogique est
aussi apprécié, cest que les mentalités médiévales assimilaient volontiers
lhomme à un arbre qui "pousse", terme quon emploie
aujourdhui encore pour parler des enfants.
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Dans ce
manuscrit juridique du XVe siècle, cette métaphore végétale aux
ramifications complexes est employée sur le mode hyperréaliste, par la représentation
denfants, dadolescents, de jeunes adultes et dhommes et de femmes
dâge mûr qui se succèdent du haut en bas dun arbre sur les racines duquel
le couple originel se tient debout : chaque génération est représentée par un
âge de la vie différent, les plus jeunes renvoyant à la dernière génération en date.
Si la moitié droite de la ramure de larbre est dédiée aux garçons, les femmes,
toujours rassemblées sur le côté "sinistre" (sinister =
gauche, en latin), sont perchées comme des oiseaux sur sa ramure de gauche. Comme sur les
blasons, la partie dextre (celle à gauche de limage) est la seule jugée honorable.
Lhonneur lignager provient des hommes de la famille.
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Examinons larbre
du haut vers le bas et de lextrémité des branches à leur naissance, en suivant le
sens de lecture qua choisi lenlumineur pour cette image qui abonde en
notations implicites ou explicites sur le rôle et la place des sexes dans la généalogie
familiale. Liconographie des enfants est fortement inspirée du motif contemporain
des âges de la vie. Ainsi figurent dans larbre lenfant au berceau, celui qui
joue avec une noix-moulinet, le garçon de 7 ans, le jeune garçon, le jeune homme à la
mode, comme dans les images encyclopédiques des manuscrits du Livre des propriétés
des choses, de Barthélemy lAnglais.
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Unisexes à la
naissance, dans leur apparence physique lorsquils sont emmaillotés et quon ne
voit que leur visage, leur corps bien couvert dune couverture rouge, couleur
protectrice des bébés, les jeunes enfants sont rapidement différenciés, par la
coiffure et le costume. Les petites filles portent les cheveux longs, ceux des petits
garçons sont coupés courts. Les petites filles portent des robes longues, celles des
garçons, quon souhaite plus actifs, sont plus courtes.
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Lorsquils
grandissent en âge, les habits des jeunes gens, au XVe siècle, se font
collants jusquà lindécence, moulant leur virilité et soulignant leur
musculature, bien mise en valeur au niveau des mollets par les chausses et au niveau des
deltoïdes par des épaulettes rembourrées, tandis que les filles continuent de porter
des robes longues et amples ceinturées haut, pour laisser à limagination masculine
place au fantasme dun ventre enflé et fertile, et que des coiffes dissimulent par
pudeur une chevelure devenue, à la majorité, un symbole de luxure.
De même, lattitude des filles et des garçons diffère : les filles se
tiennent assises sagement, lorsque les gamins jouent. Lun deux, en robe verte,
couleur de la jeunesse, qui est assis à califourchon de la branche médiane, samuse
avec un moulinet. Ce petit jouet, quon voit souvent aux mains de lEnfant
Jésus, est fait dune noix creusée pour y placer un axe au sommet duquel est
fichée une paire dailes de moulin miniatures ; une ficelle enroulée autour de
laxe et quon tire fait tourner les ailettes. Ce jouet dérive directement de
la technique du moulin à vent ; la capacité technique est clairement placée du
côté masculin - de même que la puissance financière : dans le couple originel,
seul lhomme arbore une bourse à la ceinture - il dispose non seulement de la
fortune de sa famille, mais aussi de la dot de sa femme. |
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Bien que ce soit cette
dernière qui donne naissance aux nombreux enfants qui assurent la lignée, elle
nest guère, surtout dans laristocratie, quune pièce rapportée, un
élément mobile, interchangeable, autrefois répudiable ; limage rend compte
de cette distinction : ainsi, cest lhomme qui sadosse au tronc avec
une raideur toute ligneuse et se confond avec sa tige dressée comme une verge, symbole
végétal par excellence de la génération sexuelle - à la fin du XIIIe
siècle, le futur pape Innocent V nhésite pas à comparer la semence masculine à
la sève. Cest aussi lhomme qui saffirme soucieux de ses racines, ici
exhumées, au point que les grandes lignées se cherchent des ancêtres toujours plus
prestigieux, les Romains, les Troyens, voire, comme Charles-Quint, Osiris et les
Égyptiens...
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La femme,
quant à elle, relève un peu sa robe comme pour sen aller et, de la main gauche,
comme il se doit, montre le lointain, lextérieur, lailleurs ; va-t-elle
emprunter le pont qui mène au domaine de son père ? Lenlumineur a-t-il voulu
signifier que les femmes sont des ponts entre les familles ? Le pont est assurément
ici symbole dalliances entre lignages. Enfin, est-ce consciemment ou inconsciemment
que lenlumineur a placé, comme élément signifiant du décor, une ville forte et
un château du côté des garçons, en signe de pouvoir administratif et de puissance
guerrière, et un ruisseau du côté féminin, renvoyant au caractère aquatique
dune féminité qui baigne ses enfants dans le liquide amniotique et leur donne le
jour en expulsant les eaux ? Ou faut-il penser que lartiste rappelle que la
femme doit être souvent arrosée pour entretenir la fertilité dune lignée...
Indéniablement, aux yeux de lartiste et de ses lecteurs, le côté masculin est
celui du construit, et le côté féminin celui de la nature... |