Condamné de tous côtés depuis la publication de l'Émile et du Contrat social, obsessionnellement persécuté, Rousseau n'écrit plus désormais que pour conforter sa position d'accusateur accusé, en un retour au « moi », au vécu de l'existence, le meilleur garant de la solidité du raisonnement philosophique, du « système » qui a régi toute sa vie.
Après l'insuccès de ses lectures des Confessions auprès de ses amis, Rousseau s'enfonce dans la spirale de l'angoisse. Il tente d'exorciser le « complot » ourdi contre lui en écrivant, de 1772 à 1776, ses trois Dialogues entre « le Français », porte-parole de la nation mensongère qui a condamné sans appel « le monstre », et Rousseau, l'avocat lucide de Jean-Jacques, le « je » omniprésent derrière « le mur des ténèbres » et que la postérité saura enfin reconnaître.
Mais à qui confier un témoignage porteur de tant de délirants espoirs ? Rousseau décide d'en déposer la mise au net à peine achevée dans le chœur de Notre-Dame, glissée dans une enveloppe portant une longue suscription, « Dépôt remis à la Providence ». Trouvant les grilles fermées, il croit d'abord « voir concourir le Ciel même à l'œuvre d'iniquité des hommes », puis il y voit un "bienfait du Ciel", une incitation à remettre son œuvre à un homme de lettres « vertueux », Condillac, à charge pour lui de la transmettre à un homme plus jeune qui puisse la publier un jour « sans offenser personne ».
À la mort de Condillac, en 1780, le manuscrit fut déposé à l'hospice de Beaugency, où il resta jusqu'en 1879. Passé dans de prestigieuses collections privées, le manuscrit mythique est entré à la Bibliothèque nationale de France par voie de dation en 1996. Mais les Dialogues furent publiés, avec d'infimes variantes, dès 1782 grâce aux trois autres copies autographes rédigées en 1776 par le philosophe et augmentées de la très éclairante « Histoire du précédent écrit ».