La rose
Le Horla
Guy de Maupassant (1850-1893), auteur ; Frans Masereel (1889-1972), illustrateur, Paris, 1928.
Editions Albin Michel
BnF, Réserve des livres rares, RES P-Y2-1312
© Bibliothèque nationale de France
Le Horla, conte fantastique de Maupassant (1887), donne à lire la confession du narrateur, dont la vie est troublée par des micro-événements inattendus et inexplicables, comme cette rose qui se coupe toute seule et s’envole. « 6 août. — Cette fois, je ne suis pas fou. J’ai vu… j’ai vu… j’ai vu !… Je ne puis plus douter… j’ai vu !… J’ai encore froid jusque dans les ongles… j’ai encore peur jusque dans les moelles… j’ai vu !… Je me promenais à deux heures, en plein soleil, dans mon parterre de rosiers… dans l’allée des rosiers d’automne qui commencent à fleurir. Comme je m’arrêtais à regarder un géant des batailles, qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d’une de ces roses se plier, comme si une main invisible l’eût tordue, puis se casser, comme si cette main l’eût cueillie ! Puis la fleur s’éleva, suivant la courbe qu’aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l’air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à trois pas de mes yeux. Éperdu, je me jetai sur elle pour la saisir ! Je ne trouvai rien ; elle avait disparu. Alors je fus pris d’une colère furieuse contre moi-même ; car il n’est pas permis à un homme raisonnable et sérieux d’avoir de pareilles hallucinations. Mais était-ce bien une hallucination ? Je me retournai pour chercher la tige, et je la retrouvai immédiatement sur l’arbuste, fraîchement brisée, entre les deux autres roses demeurées à la branche. Alors, je rentrai chez moi l’âme bouleversée ; car je suis certain, maintenant, certain comme de l’alternance des jours et des nuits, qu’il existe près de moi un être invisible, qui se nourrit de lait et d’eau, qui peut toucher ? aux choses, les prendre et les changer de place, doué par conséquent d’une nature matérielle, bien qu’imperceptible pour nos sens, et qui habite comme moi, sous mon toit… »