Le Paris de Louis Aragon
Aragon
Le paysan de Paris, Paris, Gallimard, 1926, réédition
Le livre de poche, 1971, p. 20-21.
"La lumière moderne de l'insolite, voilà désormais
ce qui va le retenir.
La lumière moderne de l'insolite
[...] règne bizarrement dans ces sortes de galeries couvertes qui
sont nombreuses à Paris aux alentours des grands boulevards et que
l'on nomme d'une façon troublante des passages, comme si dans
ces couloirs dérobés au jour, il n'était permis à personne
de s'arrêter plus d'un instant. Lueur glauque, en quelque manière
abyssale, qui tient de la clarté soudaine sous une jupe qu’on
relève d’une jambe qui se découvre. Le grand instinct américain,
importé dans la capitale par un préfet du Second Empire, qui
tend à recouper au cordeau le plan de Paris, va bientôt rendre
impossible le maintien de ces aquariums humains déjà morts à leur
vie primitive, et qui méritent pourtant d'être regardés
comme les receleurs de plusieurs mythes modernes, car c'est aujourd'hui seulement
que la pioche les menace, qu'ils sont effectivement devenus les sanctuaires
d'un culte de l'éphémère, qu'ils sont devenus le paysage
fantomatique des plaisirs et des professions maudites, incompréhensibles
hier et que demain ne connaîtra jamais."